Cette semaine, « Plastic Hearts » de Miley Cyrus.
Il y a des souvenirs dont on a un peu honte : celui d’une reprise de I Love Rock’n’roll par Britney Spears période Crossroads, peut-être la deuxième pire «cover» jamais enregistrée (non, on ne t’oublie pas, Alien Ant Farm et ta reprise de Smooth Criminal). Celui, aussi, d’un épisode de Hannah Montana (2006-2011), où Miley Cyrus déclarait qu’elle voulait «être une rock star !», avec toutes les déviances que le terme sous-entend mais que le public de Disney Channel était encore trop jeune pour comprendre.
C’est pourtant ce que la chanteuse et actrice s’emploie à devenir depuis son quatrième album, Bangerz (2013), renvoyant l’image tantôt du sex-symbol jugé vulgaire, tantôt de la «punkette» à paillettes. Et prouve jusque dans sa musique qu’elle jouit d’une liberté totale, s’aventurant dans les confins de la pop expérimentale avec le sublime Miley Cyrus & Her Dead Petz (2015) et flirtant avec la country avec Younger Now (2017), dans lequel elle convie la prêtresse du genre (et sa marraine), Dolly Parton. En vraie femme libre, elle est en passe de réaliser le rêve de Hannah Montana, qui est aussi celui de toute popstar trop vite enfermée dans des cases : Miley 1 – Britney 0.
À chaque nouvel album, une nouvelle ère donc. Plastic Hearts marque celle de la rockeuse Miley Cyrus, t-shirt déchiré sous un perfecto à clous, le majeur levé, chaînes autour du cou et bagouzes par-dessus les gants en cuir, quelque part entre Joan Jett et Madonna. Les références se multiplient au fil d’un album qui ne met pas les classiques sur un piédestal genre «revival», mais les convie au contraire dans un chassé-croisé ludique qui retrace quatre décennies de rock et pop-rock (des années 1970 à 2000) où elle les incorpore à sa musique comme deux éléments de son identité. Le motif principal du single Midnight Sky s’inspire de l’introduction de Space Bootz, ballade cosmique géniale de l’époque Dead Petz, qu’elle complète avec un sample de Edge of Seventeen de Stevie Nicks (1982); adresse un clin d’œil aux Rolling Stones et à leur Sympathy for the Devil (1968) en ouverture de Plastic Hearts; rejoue Pink ou Katy Perry période One of the Boys (2008) sur l’explosif WTF Do I Know, en ouverture de l’album; fait le pont entre Olivia Newton-John et son Physical (1981) et Dua Lipa, qui s’est inspirée cette année de la même chanson et présente ici sur le tube Prisoner… Les exemples ne manquent pas, et les invités non plus : Dua Lipa, donc, mais aussi Stevie Nicks, qui prête sa voix dans un remix de Midnight Sky. Joan Jett et Billy Idol, eux, partagent le crédit sur des titres (Bad Karma avec la première, Night Crawling avec le second) qui sonnent comme des hommages.
Si la collaboration entamée avec les prodiges du rock psychédélique The Flaming Lips, qui avait mené à la réalisation de Dead Petz, est encore aujourd’hui l’apex de sa carrière, Miley Cyrus livre avec Plastic Hearts l’album qui lui correspond le mieux. Ici, l’image exubérante de la rock star faussement crade est un vernis qui sublime ses habituels textes d’amours dysfonctionnels, que ce soit avec les hommes (avec en ligne de mire son ex-mari, l’acteur Liam Hemsworth) ou avec les femmes, aussi bien dans les titres les plus énergiques (Prisoner, Midnight Sky, WTF Do I Know) que dans les ballades taillées pour les sessions «unplugged» (les superbes High et Golden G String) ou pour les stades (Never Be Me, Angels Like You). C’est aussi l’album dans lequel la voix incomparable de la chanteuse se dégage le plus, et elle le prouve dans deux «bonus tracks» magistrales, des reprises : Zombie et, surtout, Heart of Glass, où la puissance vocale de Miley Cyrus ébranle un instant le souvenir du chant haut perché de Debbie Harry, dans un exercice jouissif que peu de pop stars peuvent se targuer de réussir haut la main. Surtout pas Britney Spears.
Valentin Maniglia