Action Bronson
Johann Sebastian Bachlava The Doctor
Sorti le 11 juillet
Label Baklava Industries
Genre rap
Nombreux au Luxembourg comme dans la Grande Région avaient prévu de lancer idéalement leur été, marquant d’une grosse croix rouge le calendrier à la date du 2 juillet, jour du concert d’Action Bronson programmé à la Rockhal. Mais le gouailleur du Queens (New York) a fait faux bond, sans que personne ne lui en veuille vraiment.
C’est que l’on se plaît à aimer et suivre cette personnalité attachante, captivante même, qui dénote dans l’industrie du rap. Un gaillard imposant, sorte de Gargantua à l’appétit aiguisé (il est lui-même cuisinier et animateur régulier d’émissions gourmandes, comme l’excellent Fuck that’s Delicious) qui aime, dans ses textes, parler de bonne chaire et des plaisirs de la bouche.
Difficilement rassasié, il s’adonne également à l’art tous azimuts et, petit écran encore une fois, affiche sa vitalité dans The Irishman de Martin Scorsese et The King of Staten Island de Judd Apatow.
On pourrait croire que ça fait beaucoup pour un seul homme, mais l’artiste a du coffre, comme il le démontre dans la chanson Latin Grammys (2020) et son clip où il intègre, pour de faux, un concours de l’homme le plus fort du monde – ce qui l’amènera, pour de vrai, à monter un peu plus tard sur un ring de catch entre deux passages en studio.
Oui, l’ogre est hyperactif et, musicalement, on ne compte plus désormais ses multiples contributions pour d’autres acteurs de la scène «west coast», ni les collaborations établies pour ses propres enregistrements. À ce titre, il est rarement seul depuis son tout premier disque, l’autoproduit Dr. Lecter (2011).
Il partage même son plus grand succès commercial (le morceau Baby Blue) avec Chance The Rapper, tandis que deux autres ne le quittent plus d’une semelle, toujours à ses côtés pour se marrer, manger ou composer. Deux producteurs de talent : The Alchimist et Daringer (de la «team» Griselda).
Ces dernières années, ce duo s’est ainsi relayé aux côtés d’Action Bronson pour lui construire une étonnante discographie qui ressemble à une grande ménagerie : il y a d’abord eu le cheval (White Bronco, 2018), puis un hommage à Flipper et ses copains (Only for Dolphins, 2020) et, enfin, un crocodile toutes dents dehors, dont les lamentations parsèment Cocodrillo Turbo (2022).
Entre les cris de bêtes et les piaillements d’oiseaux, ces offrandes montrent surtout que le garçon a l’esprit large et des idées en pagaille, qui se mêlent à l’envi sur des sonorités soul-jazz-funk. Sans indigestion, le MC adore faire sa cuisine avec tout ce qui lui passe sous la main, et comme autour d’une table, elle lui permet de s’éclater et d’amuser son entourage.
Il réitère le geste avec son huitième album au nom à rallonge : Johann Sebastian Bachlava The Doctor, une sorte d’alter ego un brin roublard si l’on en croit les singles Nourish A Thug et Sega, dans lequel on le voit partir en cavale.
Pourtant, il n’est pas du genre à se cacher (malgré la grosse barbe rousse qu’il arbore parfois), comme le prouvent ces onze titres qui privilégient l’instrumentation au flow glouton du rappeur. Malgré le manque de soleil, on se jette à l’eau dès le premier, Splash, pour ne jamais boire la tasse grâce à un disque qui multiplie les ambiances.
Un coup, on est sur la Riviera à enchaîner les cafés et les digestifs (Shadow Realm). Un autre, on bascule dans le folklore d’une fête mexicaine (Hideo Nomo) avant de vite repartir sur les terres de la Big Apple façon Shaft (Hogan). Dessus, on retrouve des voix connues (dont celle de l’ami Meyhem Lauren), coincées entre la guitare, le saxophone, l’orgue et l’harmonica.
Dans une production plus cohérente que les précédentes, mais toujours aux petits oignons, Action Bronson, sans vouloir révolutionner quoi que ce soit, reste fidèle à lui-même, entre blagues potaches et références croustillantes. C’est là tout le charme qu’on lui reconnaît.
Et alors que certains cherchent à se réinventer sans y parvenir (confère Eminem et son Death of Slim Shady, sorti deux jours après), lui poursuit son chemin, droit dans ses éternelles New Balance. Et à ceux qui s’étonnent encore de sa trajectoire et de son poids dans le game, il répondrait sûrement dans un sourire en coin : «Who else?».