Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter le dernier album de Forever Pavot, Melchior (vol. 1), sorti le 28 novembre sur le Label Born Bad Records.
Non, la vie de musicien ne se résume pas à créer, enregistrer et partir en tournée. Il y a aussi l’administratif à gérer, et surtout, souscrire à la pression du public, des labels et, plus largement, de l’industrie musicale, qui réclame une présence quasi permanente sur les réseaux sociaux.
Ce qui peut poser des problèmes de disponibilité, d’énergie, voire d’adaptation pure et simple. Mais Émile Sornin, alias Forever Pavot, a trouvé une solution : créer son double, sorte d’assistant discipliné qui l’aiderait à cette tâche laborieuse qu’est la promotion. Attention, pas une intelligence artificielle désincarnée, mais plutôt un robot qui ressemblerait à sa production, singulière, loin des modes et faite maison.
Mais une fois sur pied, cet automate va faire bien plus que lui simplifier la vie. Il va en effet inspirer et prendre totalement part à son nouvel album, jusqu’à lui donner son nom : Melchior.
Rien d’étonnant quand on connaît le parcours de Forever Pavot et sa propension à toujours prendre des chemins de traverse. Durant la dernière décennie, BO comprises (dont une dernière en 2023 accompagnant le film Simple comme Sylvain), il s’est imposé comme un touche-à-tout à l’aise derrière n’importe quel instrument (dont des anciens, comme le clavecin, et d’autres plus étranges).
La robo-bromance continuera !
À l’oreille, cette capacité se matérialise par une musique psychédélique, cinématique et mélodique à souhait, rappelant les élans contemplatifs de Jean-Claude Vannier, John Barry, The Kinks et Serge Gainsbourg, comme les ambiances des westerns en technicolor. Trois albums de haute tenue en témoignent – Rhapsode (2014), La Pantoufle (2017) et L’Idiophone (2023) – invitant à (re)plonger dans les sonorités des années 1960-1970, foisonnantes, élégantes et rêveuses.
L’année dernière, sans prévenir, ce talent à moustache allait même ajouter une ligne supplémentaire à son CV en se tournant… vers le rap, cosignant avec XP The Marxman un superbe album «vintage» (Forever XP), enregistré à Nancy et à la résonance trop discrète. Mais la confidentialité a du bon, surtout que la porte était dès lors ouverte pour de nouvelles expérimentations.
Et c’est là qu’entre en jeu le robot qui, comme convenu, assure le ramdam médiatique avec une série de courtes vidéos sur YouTube («Melchior trop fort»), dévoilant au grand public sa gueule de mannequin pour ventriloque et son corps composé de matériaux de récupération, emballé dans un survêtement rouge.
Et dans l’intimité, il va donc redonner une impulsion à son créateur, au point d’être crédité à la même hauteur que lui des compositions. Car oui, Melchior est capable de chanter et de jouer un peu de clavier. «C’est ma nouvelle muse !», s’amuse à dire le musicien auprès du magazine FocusVif.
Comment se traduit alors cette association homme-machine ? Les amateurs de Forever Pavot reconnaîtront son univers délicat et aventureux, avec ces clins d’œil à Ennio Morricone ou à François de Roubaix, mais passé au prisme de l’électronique et du vocodeur. Douze titres aux airs rétro-futuristes qui, aux oreilles de l’auditeur, se présentent comme une odyssée de science-fiction un peu bon marché et bricolée, où d’autres repères s’imposent : en tête de liste, Kraftwerk, et dans son sillage, Air, Beak> et Grandaddy, sans oublier les paysages sonores minimalistes de Wendy Carlos (façon Orange Mécanique) et de John Carpenter. Rarement accompagné, Émile Sornin en profite pour attirer dans ses filets quelques invités : Lispector, Kumisolo et Domotic. Et jusque-là adepte du français, il saute ici à l’anglais.
Malgré tout, cet album n’est pas une révolution mais plutôt le pas de côté d’un artiste qui aime se réinventer, sans s’égarer, ni perdre ses fondements. Un projet qui, comme le suggère le titre, appelle à une ou plusieurs suites. Idée confirmée par le label français Born Bad Records qui écrit : «Ce flirt n’a rien d’une relation toxique», et la «robo-bromance continuera !».
Sur scène, déjà, où Forever Pavot a promis de trimballer son robot pour des concerts qui risquent de valoir le détour. Sur disque, également, où son projet, déjanté en apparence, interroge malgré tout en creux notre époque, aux avatars multiples et aux IA supplétives. Melchior ne dirait pas mieux.