Cette semaine, Afrique Victime de Mdou Moctar, sorti le 21 mai sur le Label Matador.
Cela fait déjà quelques années que le blues-rock rugit depuis le désert saharien, transperçant les dunes, brûlant comme un soleil de plomb, fougueux comme une tempête de sable. Du Mali au Niger en passant par l’Algérie, nombreux sont les Touaregs, à l’identité bafouée, qui ont troqué les kalachnikovs pour les guitares avec lesquelles ils évoquent la souffrance, la nostalgie et l’exil. Au bruit des balles qui fusent, ils préfèrent aujourd’hui la puissance de l’ampli et la portée du micro, salutaires pour faire entendre leurs paroles et leurs histoires.
Des représentants d’un peuple bigarré et nomade qui mettent à l’honneur leurs différentes langues (tamasheq, hassanya, amazighe…) dans des textes qu’ils coincent dans une musique hybride, en équilibre entre passé et futur, entre traditions africaines et emprunts occidentaux.
Ainsi, avec eux, le blouson en cuir se porte au-dessus d’un boubou ou s’accompagne d’un chèche. Avec eux, encore, les percussions et les chants reposent sur de puissantes lignes électriques et de multiples effets sonores, qui ouvrent à la transe, invitent à l’abandon.
De ZZ Top à Eddie Van Halen comme modèles
La liste de ces nouveaux combattants est longue, mais peut se résumer à quelques hauts ambassadeurs qui ont ouvert la voie dans les années 90 : d’abord Abdallah Ag Oumbadougou, décédé en janvier 2020 peu de temps après la réédition de son album phare, Anou Malane (1995). Ensuite, Tinariwen, autre groupe précurseur, dont la patience a été récompensée en 2012 par un Grammy du meilleur album «world» (pour Tassili).
D’autres suivent, tout aussi talentueux : Tamikrest, Omara «Bombino» Moctar, Imarhane… et donc Mdou Moctar, 35 ans, l’un des plus audacieux de la tribu. En effet, alors que les autres se réclament de Mark Knopfler, Eric Clapton, Pink Floyd, lui évoque des modèles plus mordants, comme ZZ Top et Black Sabbath – références évidentes quand on écoute son album Ilana : The Creator (2019).
Pour cet album-ci, en français dans le titre, on est même plus proche de Jimi Hendrix ou d’Eddie Van Halen, grâce auquel ce gaucher virtuose a fait ses premiers pas à la six cordes, faite maison avec des câbles de vélo.
Un jeu de guitare direct
Afrique Victime – appellation que n’aurait pas reniée Tiken Jah Fakoly – débute ainsi avec un gros solo, sur lequel Mdou Moctar malmène sa Fender Stratocaster (Chismiten). C’est féroce, bruyant, plus rock que blues, comme si Dan Auerbach des Black Keys était en coulisses. C’est d’ailleurs son jeu de guitare direct (basé sur un ou deux accords, pas plus) qui fait tout le charme de ce disque.
Et même quand il calme son ardeur et passe en mode folk, celui qui s’est amusé, dans le passé, à concocter un remake filmique de Purple Rain, impose son élégance pour mieux se perdre dans des méditations sur l’amour, la religion, l’inégalité et l’exploitation de l’Afrique par les puissances coloniales.
Un bien bel ouvrage, emballé par une section rythmique hypnotique et des trouvailles électroniques, comme on a déjà pu le remarquer sur la récente production du duo Matt Sweeney-Bonnie «Prince» Billy, pour l’un des meilleurs titres de l’album Superwolves (Hall of Death).
Pour sûr, Mdou Moctar ne prêche plus dans le désert et impose son style indomptable. La détonation s’entend à des kilomètres, optimiste et pleine d’espoir. De quoi rallier sa cause, et faire des émules. Encore.
Grégory Cimatti