Cette semaine, on se penche sur Monument ordinaire, de Mansfield.TYA.
Bien qu’elle s’habille souvent en noir et se plaise à se fondre dans l’ombre des nuits sans fin, Julia Lanoë, alias Rebeka Warrior, attire à elle toute la lumière. Il y a d’abord ce projet décapant, Kompromat, sorti de terre en 2019, mené avec maestria en compagnie de Vitalic aux platines. De la techno inspirée et intelligente, dont les racines berlinoises se retrouvent jusque dans le chant, en allemand.
Il y a aussi, depuis quelques jours, l’émergence de son label, Warriorecords. Une maison qui n’a rien à cacher puisqu’elle se définit comme «queer, transféministe, anti-raciste et résistante», et cherche à «redonner à la musique ses vocations premières : faire danser, penser, fédérer, pleurer et s’aimer». Pour l’inaugurer, c’est Mansfield.TYA qui s’y colle, soit le groupe par lequel tout a commencé, qu’elle partage depuis 2005 avec son amie violoniste Carla Pallone (du trio Vacarme).
Jusqu’alors, le duo affichait un goût prononcé pour les cordes, la mélancolie mélodique et le minimalisme, ce qui s’observe d’ailleurs sur quatre précédents albums. Avec ce Monument ordinaire, il prend des chemins de traverse.
Orientation poétique, à cœur ouvert
Chargée à bloc, Rebeka Warrior électrise tout ce qu’elle touche. Elle rappelle au passage sa soif, jamais rassasiée, pour l’expérience et l’audace (comme elle le démontre avec Sexy Sushi). Le couple atypique n’y échappe pas non plus, dynamisant là son son, voulu plus percutant, plus synthétique aussi. Son spleen, intact, prend alors des airs d’ode new wave.
Attention, la réinvention n’est pas totale : chez elles, on trouve toujours cette formule violon-voix, dont l’épure guette pour s’affirmer. Mais aussi cette orientation poétique, à cœur ouvert, sensible. Six ans après Corpo Inferno, invitation crépusculaire à la fête, Julia Lanoë et Carla Pallone évoquent ici le deuil, celui d’une amie commune. Un disque «monument» donc, dans un hommage qui se veut heureux et libérateur. Douze titres qui lorgnent alors vers la lumière et la danse, comme le voudrait une cérémonie moderne.
Thérémine et boîte à rythmes
Pour mieux libérer la tristesse, le duo déroule toute une panoplie de langues (français, allemand, italien) et de formes : thérémine, marimba, boîte à rythmes et étrangetés (comme l’échographie de la carotide de Rebeka Warrior) se mélangent, tous sous influence du synthétiseur analogique.
Dans le ton, Monument ordinaire évite aussi l’ennui de la répétition, réunissant comptines faussement joyeuses, mélodies à fleur de peau, grondements électroniques et tentatives plus énigmatiques. Dans son chagrin, Mansfield.TYA trouve également des épaules réconfortantes, celles de «Fanxoa» (l’ex-Bérurier noir) et du groupe Odezenne.
Comme à plusieurs, la route est moins difficile, le duo, sur sa page Facebook, révèle dans des «stèles vidéo» les secrets de fabrication de cet album. Ce qui ramène au titre Le Parfum des vautours, aux paroles équivoques : «L’histoire est un machin plein de fleurs et de trous / Les mouchoirs, nous les jetons en pleurant derrière nous». Oui, l’important est d’avancer, de ne pas se retourner. De danser même, si toutefois le cœur vous en dit.
Grégory Cimatti
Monument ordinaire, de Mansfield.TYA. Sorti le 19 février. Label Warriorecords. Genre électronique/new wave/chanson