Le Quotidien sélectionne cette semaine l’album Magic Oneohtrix Point Never.
Il est peu de dire que l’œuvre de Oneohtrix Point Never, l’alias du compositeur américain Daniel Lopatin, compte pour être l’une des plus importantes de la musique électronique actuelle. À l’avant-garde de l’avant-garde, la musique du futur de «OPN» est, selon l’aveu du cinéaste Josh Safdie, «la bande originale de films qui n’existent pas».
Mais le musicien originaire de Boston, aujourd’hui installé à Brooklyn, a utilisé la bande originale de films comme partie intégrante du façonnage de son style, en particulier sur les polars des frères Safdie Good Time (2017) et, plus récemment, Uncut Gems (2020). Alors que ce Magic Oneohtrix Point Never est son neuvième album, les influences musicales et cinématographiques de l’artiste sont désormais si bien ancrées dans son ADN que l’on ne les relève même plus, de Vangelis à Nine Inch Nails, de Giorgio Moroder au shoegaze des années 1990.
Mais le coup de génie de OPN réside justement ici dans la réalisation d’un album aux allures de patchwork, dans lequel il met en retrait l’ambition démesurée qu’il avait affichée dans son dernier album, Age Of, pour combiner des compositions étonnamment pop – une grande première – et un retour au son cryptique de ses débuts. Avec, donc, une mise en exergue des inspirations ici utilisées.
Insondables compositions expérimentales
L’entreprise est de taille, même pour un surdoué (oserait-on dire un génie ? Oui), mais c’est compter sans le sens de la collaboration que l’on ne sous-estime que trop chez le compositeur. Nouveau pinacle d’une carrière dans laquelle OPN s’est fait un point d’honneur à toujours brouiller les pistes, la contribution phare de cet album, réalisé en période de confinement, est incontestablement celle de The Weeknd. Le Canadien multirécompensé et aux 75 millions d’albums vendus, lui aussi au générique de Uncut Gems (en tant qu’acteur dans son propre rôle, arborant son inénarrable coupe de cheveux à la Basquiat), fait une apparition vocale dans la très belle «late-night ballad» tout droit sortie des années 1980 No Nightmares mais, en sa qualité de producteur exécutif de l’album, aurait apporté d’importants conseils à OPN tout au long de sa réalisation.
Si la poignée de ballades pop rétrofuturistes l’amène vers ses moments les plus éthérés (Long Road Home avec Caroline Polachek, Lost But Never Alone), Magic Oneohtrix Point Never explore, tout au long de ses 47 minutes, l’origine de son titre (et du pseudonyme de l’artiste), tiré de la radio de Boston Magic 106.7. D’où les ballades «eighties», donc. D’où, aussi, ces quatre interludes intitulés Cross Talk, dans lesquels OPN tord à l’excès des collages de voix radiophoniques en délivrant, en guise d’annonces, des pensées qui ont tout à voir avec les thèmes omniprésents de la nostalgie et de la mémoire («Nos rêves d’enfants sont devenus les bases de nos fantasmes d’adultes, et maintenant, simplement, nous avons tous grandi pour devenir quelque chose de nouveau», sur Cross Talk II).
Dans sa structure kaléidoscopique, ce sont les insondables compositions expérimentales de Oneohtrix Point Never qui donnent à l’album toute sa richesse. Non pas que son esthétique sonore ne se retrouve pas dans les titres les plus accessibles – au contraire, les vocoders torturés et les sonorités extraterrestres s’y affirment d’autant plus – mais celle-ci, faite de leitmotivs concrets et de drones dissonants, développe une synthèse complexe de sa musique, resplendissante d’un réconfort déroutant sur Tales from the Trash Stratum et The Whether Channel, deux des plus beaux morceaux qu’il ait jamais composés.
En véritable adepte de l’expérimentation musicale, Daniel Lopatin regarde à la fois vers le passé et vers un avenir possible en faisant mieux que lorgner le «mainstream» : il impose un nouveau standard dans la musique electro ouverte au grand public.
Valentin Maniglia