On savait qu’il était imminent, mais on finissait par ne plus vraiment l’attendre : le second album d’Aminé, Limbo, porte en lui tous les questionnements d’un jeune artiste (il a 26 ans) de son temps : comment, après avoir connu un succès viral avec Caroline puis Spice Girl, deux singles issus de son premier album, Good for You (2017), envisager la tâche titanesque du second disque ?
Tâche qui est, on le sait, le baptême du feu quand l’opus précédent a fait découvrir l’artiste et placé en lui beaucoup de promesses. Depuis la jurisprudence Chance the Rapper et son catastrophique The Big Day, premier album qui suivait trois «mixtapes» toutes plus excellentes les unes que les autres, on est en droit de redoubler de méfiance.
Seulement voilà, Aminé, à la différence de «Chance», n’a pas encore accès aux hautes sphères de la célébrité, et c’est principalement ce qui lui permet de garder encore la tête froide et les pieds sur terre. Le rappeur de Portland est encore dans ces limbes («limbo», en anglais) mais, à la différence du Poète au Purgatoire, Aminé ne cherche pas à tout prix à en sortir pour accéder au niveau supérieur, plutôt à explorer son état d’esprit général qu’il ressent depuis qu’il a commencé à travailler sur l’album. On l’écoute y parler de ses amours passés en reconnaissant ses erreurs (Compensating), des espoirs et des peurs qu’il éprouve pour ses futurs enfants (Fetus), de ses idées arrêtées qu’il croit bon de reconsidérer (Burden), de l’un de ses héros aussi, Kobe Bryant…
Ces limbes, ce sont aussi celles d’un homme qui n’est plus vraiment dans l’insouciance de la jeunesse mais qui n’a pas encore complètement accédé à l’âge adulte. Aminé dresse – intentionnellement – un autoportrait mental plutôt sombre sur des instrumentaux lumineux et avec un débit toujours entraînant : une manière de faire sortir ce qu’il garde en lui plutôt que de refouler ses émotions, mais aussi une preuve qu’il veut montrer qu’il n’est pas juste le «hitmaker» ponctuel que tout internet connaît (plus de 500 millions d’écoutes rien que sur Spotify pour Caroline).
D’ailleurs, entre son dernier projet, ONEPOINTFIVE – à l’origine conçu comme une porte d’entrée à Limbo avant que la sortie de l’album soit maintes fois repoussée – et aujourd’hui, Aminé a établi quelques connexions déterminantes pour ce second album : il a rencontré quelques artistes qui y font des apparitions remarquables. Ceux-ci s’appellent Young Thug (Compensating, voir le clip ci-dessus), Summer Walker (le très chaud Easy, l’un des meilleurs titres de l’album) ou encore Slowthai et Vince Staples (ensemble sur Pressure in My Palms), sans oublier Injury Reserve (Fetus), dont le producteur, Parker Corey, est l’un des architectes de Limbo (le titre contient d’ailleurs le dernier couplet du membre d’Injury Reserve Stepa J. Groggs, mort en juin dernier).
Génération Drake
Enfant de la génération Drake, la filiation entre lui et Aminé est facilement reconnaissable dans son goût pour les instrumentaux construits sur des boucles et des samples, et Aminé, qui est aussi l’un des producteurs de l’album, ne s’est pas privé de convier plusieurs producteurs intimement liés depuis une décennie ou plus au «Champagne Papi» comme Boi-1da et T-Minus (deux des créateurs du «son» Drake), laissant clairement entrevoir quel chemin le jeune rappeur se destine à suivre.
Il y a aussi du Drake dans son débit (Roots et Riri en sont les meilleurs exemples) comme dans son incursion dans l’«ego trip» (Shimmy, construit autour du célèbre sample d’Ol’ Dirty Bastard). Sa différence avec le rappeur de Toronto est simple : plus jeune, Aminé semble également plus conscient de soi et en se prenant aussi plus au sérieux, il le surpasse sur son propre terrain.
Valentin Maniglia