Avec In the Blossom of Their Shade, sorti le 15 octobre sur le label New West Records, Pokey LaFarge sautille avec légèreté et insouciance entre les ambiances «fifties», caribéennes et latinos.
Avec Pokey LaFarge, il est toujours question de voyage. Le plus ancien remonte à ses ancêtres, quelques générations en arrière, que l’on retrouvait au XIXe siècle du côté de Wissembourg… en Alsace! Avouons-le, il est difficile aujourd’hui de déceler la moindre trace de cette étonnante origine dans sa musique – et c’est tant mieux.
Déjà, le garçon (Andrew Heissler de son vrai nom) évite de porter le gilet rouge et le chapeau noir, préférant le charme désuet du dandy. Ensuite, si folklore il y a, il est sans accordéon, ni cuivres ni cigognes, mais avec un arrière-goût sensible de poussière et de plaines infinies. Celui de l’Amérique historique et traditionnelle. En un mot : authentique.
Né à Bloomington (Illinois) voici presque quatre décennies, ce chanteur et multi-instrumentiste élabore, depuis son premier album Marmalade (2006), un cocktail sans âge et élégant, qui touche de près ou de loin à l’americana : la plainte country, le swing des années 30, le R’nB de la Nouvelle-Orléans, le folk appalachien, sans oublier le jazz, le blues, le ragtime et bien d’autres.
Il n’est donc pas étonnant de le voir parfois entouré, sur certaines vidéos, de purs cow-boys à barbes et à éperons. Quinze ans plus tard, son style n’a pas vraiment changé, mais ses emprunts, au fil du temps, se sont déridés.
Dix chansons, toujours inspirées de la vieille école, mais trempées dans un bain de jouvence latino et caribéen
Pour preuve, en 2020, avec Rock Bottom Rhapsody, Pokey Lafarge démontrait son talent pour parler de ses états d’âme, sombres à souhait, et de son cœur à vif. Une noirceur introspective qui esquivait aisément le pittoresque.
Autre année, autre ambiance avec ce In the Blossom of Their Shade et son titre porteur, Get It ‘Fore It’s Gone, qui ne ment aucunement sur la marchandise : chemise à fleurs, sable fin et décor à la Douanier Rousseau avec perroquet dans l’arbre et traces de bronzage. Précisons que le disque, vraie bande-son d’un après-midi ensoleillé, devait sortir cet été. Mais la pandémie en a décidé autrement.
C’est d’ailleurs elle qui a donné l’orientation et l’humeur de cette neuvième production. À mesure que les jours se transformaient en mois, Pokey Lafarge, bloqué comme beaucoup, «périssait dans l’obscurité», comme il le précisait à NPR Music. Il fallait donc un geste fort, salvateur, histoire que la joie prenne le pas sur la déprime ou le chagrin d’amour. En résultent alors dix chansons, toujours inspirées de la vieille école, mais trempées dans un bain de jouvence. De la couleur, de l’humour et un style entraînant qui donne envie de claquer des doigts ou de glander sur une plage en écoutant les vagues crépitements d’un transistor.
Ici, le musicien sautille avec légèreté et insouciance entre les ambiances «fifties», caribéennes et latinos, diluant ses frustrations passées dans la piña colada et les baignades rafraîchissantes. Des ballades optimistes qui ramènent des figures évidentes (de Harry Belafonte à Bob Brozman) et qui, par leurs racines, pourraient figurer dans le film O’Brother des frères Cohen.
D’autres références s’imposent au passage : Marlon Williams pour le côté crooner, Hamilton Leithauser (The Walkmen) pour cette voix claire, franche, et Calexico pour l’aspect Midwest, dont on ne se débarrasse pas si facilement (Long for the Heaven I Seek).
Alors oui, le geste est facile, le tempo très enjoué et l’optimisme un peu trop béat. Mais Pokey Lafarge, avec ce disque (concocté par son ami producteur Chris Seefried), raconte en creux qu’il faut se donner un peu d’air et de souffle en ces temps brumeux. Une réponse positive et très divertissante, à voir comme une évasion. Celle d’un homme qui, coincé entre quatre murs, a choisi le répit à la tension. Et l’espoir à l’accablement.
Grégory Cimatti