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[Album de la semaine] Less Is More, de Zebra Katz


Less Is More, premier album de Zebra Katz, est un audacieux mélange de hip-hop et d'électronique.(Photo : DR)

Zebra Katz est un cas à part, un sacré animal. Notre journaliste du desk Culture, Grégory Cimatti, se penche sur son premier album, Less Is More.

Les insomniaques et couche-tard, qui ont sûrement tenté de tromper leur sommeil léger devant des documentaires animaliers, sauront peut-être que le troupeau de zèbres a une particularité en termes de défense. En effet, devant la menace, ils se croisent tous comme des malades, à droite, à gauche, histoire de créer un effet d’optique, grâce aux rayures, ce que l’on appelle un camouflage disruptif…

Voilà une entrée en matière somme toute singulière, mais qui se tient avec cette drôle de bête qu’est Zebra Katz, étrange croisement entre l’équidé et le félin, auquel il aime rajouter la particule «fucking», qui sonne ici comme une revendication, mieux, une affirmation de soi.

Car il est bien question d’identité avec Ojay Morgan, Jamaïcain-Américain âgé aujourd’hui de 33 ans, qui a grandi à West Palm Beach (Floride), et non à New York comme cela a été dit par le passé. Par contre, c’est bien dans la «Big Apple» qu’il a pris ses cours d’art dramatique, confronté, une fois encore, à la notion de racine : étant l’un des rares Noirs à cette formation, il est alors systématiquement stigmatisé à travers les rôles qu’on lui attribue – il prendra sa revanche avec sa thèse de fin d’études qu’il nommera «Moor Contradictions», sur les Maures des œuvres de Shakespeare (notamment Othello, le Maure de Venise, The Moor of Venice en anglais).

La dernière filiation en date remonte à 2012, avec sa première véritable mise en lumière grâce à la chanson Ima Read, mise sur le devant de la scène (c’est peu dire) par le créateur de mode Rick Owens, et devenue ainsi le tube de la fashion week parisienne. Au point que le garçon n’a rien vu venir, devenu rapidement une des icônes musicales «queers», proche de la scène hip-hop et homosexuelle, alors en plein boom aux États-Unis.

On le compare alors à ses compatriotes Mykki Blanco, Le1f ou Cakes da Killa, alors que lui ne songe qu’à s’affranchir des cases, contre lesquelles il s’est battu toute sa vie. Pour preuve, le clip de son titre Ish, où on le voit danser au cœur d’un carré blanc, frontière invisible qu’il invite à franchir pour inventer de nouvelles formes.

Un pied de nez et des élans viscéraux à contre-courant qui conduisent les quinze titres de ce Less Is Moor, premier album qui a pris son temps pour éclore, et c’est tant mieux. D’abord parce que Zebra Katz a pu souffler pour mieux sauter (en dehors d’une étrange mixtape en 2013 et d’une tournée avec Gorillaz en 2017). Ensuite parce qu’il a eu la bonne idée de se donner de l’air à Berlin, où il s’est même installé, ville verte où l’on respire bien, certes, mais aussi temple européen des clubs, son sanctuaire.

Et pour retranscrire l’atmosphère étrange et sombre des nuits agitées, il sort l’artillerie lourde, avec une production, assez rare, faite de sonorités industrielles, drum’n’bass et noise, plutôt bien assortie d’ailleurs avec son flux soufflé et profond, à la Tricky. Mais une fois la base posée, Zebra Katz rappelle toutefois qu’il est une personnalité complexe, et qu’il n’aime pas les lignes droites, d’où ces chemins de traverse qu’il emprunte avec émotion au son d’une guitare acoustique (Necklace), ou pour mieux ralentir le rythme (Lousy), quand ce n’est pas pour se laisser perdre dans la forêt de son imagination fertile (Lick It N Split).

Tambours roulants, klaxons et sirènes, basses lourdes, rythmes brutaux et sons métalliques accompagnent de toute leur tension, de toute leur urgence cet album, audacieux mélange de hip-hop et d’électronique. Rappelons que ce disque est, en plus, autoproduit (ZFK Records est son propre label). Une dernière preuve qu’Ojay Morgan aime briser les frontières et casser les murs. Sur leurs ruines, il compte bâtir son histoire, pour ne plus être celles des autres.

Grégory Cimatti

Less is More, de Zebra Katz.