Le Quotidien sélectionne cette semaine l’album punk Screamers Demo Hollywood 1977 des Screamers, sorti sur le label Superior Viaduct, le 22 janvier.
L’histoire des Screamers tient à une anomalie. À une étrangeté même. Elle pourrait se résumer à son logo, un visage hurlant aux cheveux hérissés, représentant le chanteur habité Tomata du Plenty. Dessinée par l’artiste Gary Panter, l’image est aujourd’hui l’un des symboles de tout un mouvement, figurant même en couverture du livre-référence Punk, une esthétique. Mais à la différence de cet emblème, le groupe ne jouit pas de la même notoriété. Même plus de quarante ans après les faits. Un oubli fâcheux qui se justifie par une raison, assez logique : il n’a jamais sorti un seul disque ! D’ailleurs, Jello Biafra (Dead Kennedys) a trouvé la bonne formule, le qualifiant de «meilleur groupe non enregistré de l’histoire du rock’n’roll».
Oui, essayer de remonter le fil de la légende condamnait à passer, jusqu’alors, par l’écoute d’enregistrements piratés depuis de vieilles cassettes, compilant aveuglement lives et démos. Ou l’exploration de vidéos douteuses, filmées avec la technique d’alors. Restent toutefois ici et là quelques faits de gloire, comme ce concert immortalisé à San Francisco en 1978, capturant les Screamers au sommet de leur forme. Un rare témoignage qui permet toutefois de mieux saisir pourquoi le groupe s’est hissé au sommet de la scène punk de Los Angeles sans jamais avoir sorti d’album : d’abord par un jeu de scène théâtral et glaçant, empruntant aussi bien au surréalisme qu’à l’expressionnisme allemand. Ensuite, par cette musique novatrice, plus bruyante que toutes les autres.
La vidéo de 122 Hours of Fear a dépassé les 650 000 vues sur YouTube
Ce Demo Hollywood 1977, proposé par Superior Viaduct, vient donc corriger l’égarement avec cette modeste réunion de cinq chansons (le groupe en avait une quinzaine seulement à son répertoire) enregistrées en avril de la même année sur un quatre pistes. Étonnamment, malgré la nature artisanale de l’objet que l’on devine, le son est bon et les morceaux bien joués. Dessus, on ne pourra pas y voir le jeu de lumières en clair-obscur où, sur les scènes du Whisky a Go Go, du CBGB et de l’Hurrah, Tomata du Plenty déployait ses expressions nerveuses, ses mimes dérangeants, ses provocations. Mais cet EP donne la mesure d’un son sans pareil pour l’époque (en dehors, peut-être, de Suicide à New York).
Alignés en mode quartette – parfois complétés par deux violonistes et une chanteuse –, les Screamers, s’ils conservent la batterie métronomique, troquent la guitare et la basse pour un double clavier. Un avant-gardisme dépouillé de tous ses oripeaux qui les rapproche plutôt de Brian Eno et de Kraftwerk, mais qui ne néglige toutefois pas la démesure d’un punk tapageur. Un acte visionnaire même, qui anticipe une décennie 80 vouée aux synthétiseurs et aux claviers, ouvrant également la voie au synth-punk et, plus tard, à la musique industrielle. Gageons donc que ce premier disque, à voir comme un manifeste d’origine, puisse redonner, modestement, ses lettres de noblesse à un groupe qui connaît tout de même une reconnaissance tardive : sa vidéo de 122 Hours of Fear a maintenant dépassé les 650 000 vues sur YouTube. C’est l’époque qui veut ça. Décidément, l’Histoire est joueuse.
Grégory Cimatti