Cette semaine, アダンの風 («Adan no Kuze»), une plongée dans l’univers d’Ichiko Aoba.
On connaît tous le sentiment pour le moins désagréable de se réveiller après une nuit mouvementée, la trace de l’oreiller sur la joue, celle qui ôte toute joie de vivre et devient responsable, au moins pour la matinée, de toute la misère du monde. Ce sentiment, en cette fin d’année 2020, est celui que l’on ressent à l’échelle mondiale. À une poignée de jours du nouvel an, entre en scène Ichiko Aoba, auteure-compositrice-interprète et multi-instrumentiste, avec un remède ou, du moins, un début de solution (à défaut d’un vaccin). Sur la pochette de son dernier album, アダンの風, («Adan no Kuze», «Adan (sic) balayé par le vent»), la Japonaise de 30 ans se représente en Ève, nue, une pomme à la main, nageant vers un possible paradis sous-marin. C’est une invitation à la rejoindre, abandonnant la terre pour l’océan, juste là, presque à la surface de l’eau, mais assez profondément pour s’y sentir totalement libre.
Cette année nous aura poussés dans des retranchements jusqu’alors inédits : le rythme de vie «normal» a été chassé par un grand vide puis une courte frénésie avant de retomber dans un semi-vide qui nous laisse plus que jamais anxieux, bizarrement nerveux. Avec ses quatorze titres, et pendant 50 minutes, Ichiko Aoba appelle, elle, à retrouver le calme et la sérénité. Dans la béatitude de ses compositions minimalistes, elle cherche à transmettre la beauté d’une musique simple. Mais sa palette musicale ne se limite pas à l’habituel tandem guitare-voix qui est habituellement le terrain de la folk; c’est ici un point d’ancrage à partir duquel l’artiste enrichit son album. Elle double sa voix (Sagu Palm’s Song) et crée des univers autour de sa guitare-voix avec de la flûte (Porcelain, Down in the Adan) ou encore du violon (Hagupit). Sur de courtes compositions, Ichiko Aoba apparaît encore plus dépouillée : sa voix résonne lointaine, presque inaccessible, sur une magnifique ballade de piano (Parfum d’étoiles) qu’elle fait suivre d’un titre chanté a cappella pour prolonger le rêve jusqu’aux limites de ses capacités vocales (霧鳴島) et, plus loin, donne toute sa place au «sound design» expérimental timidement distillé jusque-là (chinuhaji).
La simplicité de cet album n’enlève rien à sa virtuosité : les suites d’accords, sublimées par le jeu «fingerpicked» de la musicienne, ne ressemblent à rien que l’on puisse comparer; tout au plus pourrait-on tracer un parallèle entre Porcelain et les compositions les plus éthérées de Björk, elle-même la plus unique des musiciennes. L’eau était déjà l’élément central de l’un des meilleurs albums de l’année dernière, le Titanic Rising de Weyes Blood, opéra folk aquatique qui rappelait Joni Mitchell. Avec アダンの風, qui se clôt par le bruit blanc des vagues légères et un retour à la terre ferme, on est en exploration dans les univers contemplatifs d’Ichiko Aoba, immergés dans son nouvel Éden, et l’on en revient changé. Ce n’est pas de la musique qui s’écoute dans n’importe quelle condition : il est préférable de l’écouter le matin, même avec une trace d’oreiller sur la joue, ou la nuit, au casque, en entier, sans coupure et en se laissant embarquer dans ce voyage chimérique. Mais sa vraie place est dans un musée : c’est de l’art, tout simplement.
Valentin Maniglia