Cette semaine : Fire Doesn’t Grow on Trees, de The Brian Jonestown Massacre (rock). Sorti le 23 juin. Label ‘A’ Recordings.
Pour The Brian Jonestown Massacre, un hiatus de trois ans revient à lui dire au revoir pour toujours. Le groupe à géométrie variable – et au line-up infini – qui s’est formé il y a 32 ans autour d’Anton Newcombe n’a pas dans ses habitudes de l30aisser son public languir aussi longtemps avant de revenir casser la baraque avec un nouveau projet : il faut remonter quinze ans en arrière pour trouver une telle trêve… Et encore, entre 2003 et 2008, le «BJM», qui s’était tout de même fendu d’un EP pendant cette période, était omniprésent sur scène.
Aujourd’hui, les circonstances sont différentes : la pandémie a empêché le groupe de tourner avec son précédent album homonyme et, que cela soit ou non en lien avec le covid, Newcombe dit avoir souffert d’une panne d’inspiration. Une situation inédite, presque de la science-fiction pour l’un des groupes les plus prolifiques de la scène rock.
Si la décennie 2010 fut celle de l’expérimentation – la consécration des sonorités électroniques dans Who Killed Sgt. Pepper? (2010), un rapprochement avec le krautrock dans Aufheben (2012) et Don’t Get Lost (2017) puis avec le cinéma dans Musique de film imaginé (2015) –, Anton Newcombe était revenu aux bases avec Something Else (2018) et The Brian Jonestown Massacre (2019), soit du pur rock psychédélique, enivrant et inspirant.
Un album qui porte fièrement ses imperfections
Avec Fire Doesn’t Grow on Trees, son dix-neuvième album, le groupe s’engouffre dans une nouvelle phase excitante, que l’on imagine déjà prendre l’ampleur de leur triptyque sorti en 1996 (Take It from the Man!, Their Satanic Majesties’ Second Request et Thank God for Mental Illness).
Après le vide, le déluge et le sentiment que tout l’album est traversé par le seul plaisir de faire de la musique… ce qui n’était pas gagné d’avance, puisqu’il a été en partie travaillé et enregistré à distance pendant les périodes de confinement, entre San Francisco, Reykjavik et Berlin, où Anton Newcombe vit et travaille depuis près de quinze ans.
Fire Doesn’t Grow on Trees porte fièrement ses imperfections – à commencer par une pochette affreuse – et promet qu’à aucun moment, il n’y aura erreur sur la marchandise. La preuve, le disque s’ouvre dans un bourdonnement qui durera cinq pleines minutes, au-dessus duquel viennent rapidement se superposer un rythme de guitare, un roulement de batterie, l’éternel tambourin et un Anton Newcombe qui martèle : «Combats la bête jusqu’à ce qu’elle meure / Puis lève ton épée vers le ciel» (The Real).
Des paroles qui trouvent un écho dans l’ensorcelante ballade psyché Before and Afterland, où la voix du leader part du ton le plus grave pour s’envoler progressivement vers la lumière, avec une ultime et définitive déclaration : «J’affronte le dragon et je gagne / Je ne suis pas né dans ce monde pour perdre / Ce n’est pas à vous de choisir mon destin».
Une lecture inédite du rock’n’roll
Les paroles, largement triomphantes, semblent sortir toutes seules de la bouche d’Anton Newcombe, comme s’il était impossible d’empêcher le flot de ses pensées de sortir à voix haute. Elles-mêmes sont exaltées par des compositions tenues ensemble par la logique, mais défiant tout catalogage. Les voyages psychédéliques, comme à l’habitude, convoquent le Velvet Underground (Before and Afterland), les Beatles (Whats in a Name?) ou l’éphémère période sous LSD des Stones (le final Don’t Let Me Get in Your Way).
Mais l’album puise une énergie folle dans sa lecture inédite du rock’n’roll (les impétueux Ineffable Mindfuck et It’s About Being Free Really, portés par des batteries bourrines), ponctuellement doublée d’une patte shoegaze hyperplanante (#1 Lucky Kitty) ou d’une saveur western (You Think I’m Joking?) avec, encore une fois, des mots qui résonnent comme un mantra («Tu dois te dire que tu essaieras / Tu n’abandonneras jamais, jusqu’à ce que tu meures») ou comme une promesse («Je veillerai sur toi / Si ça te va (…) Face à la fin de la fin / Je serai ton ami cher»). On ne peut vraiment pas dire non à Anton Newcombe.
Au niveau d’une discographie déjà exceptionnelle, Fire Doesn’t Grow on Trees se glisse d’ores et déjà parmi les œuvres du «BJM» qui comptent le plus. Et le groupe, qui a concocté le disque au terme d’une longue session d’enregistrement de 70 jours (avec une chanson enregistrée par jour), confirme déjà son retour avant la fin de l’année avec un vingtième album studio… pour déjà détrôner celui-ci?