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[Album de la semaine] Le one man show de Matt Berry


Retrouvez notre critique de l’album de la semaine.

Sur le dernier album de Matt Berry, on tombe, en fin de course, sur la chanson There Are Monsters. Une appellation qui sonne comme un symbole, lui qui, derrière la caméra, en a incarné des monstres, réels ou figurés. La liste est longue, car l’homme est une figure connue du petit écran, chez lui, en Angleterre, et aux États-Unis. Depuis vingt ans, sur Channel 4, la BBC et la Fox, on s’est en effet habitué à ses frasques, sa folie contagieuse, ses blagues et ses comportements incorrects. Glabre, affublé d’une moustache «en fer à cheval» ou d’une barbe, il reste finalement le même : un personnage un brin fêlé, facilement volcanique et souvent désenchanté, caractère qui s’observe à travers ses différents rôles dans Garth Marenghi’s Darkplace, The Mighty Boosh, The IT Crowd ou encore Snuff Box.

Toutefois, c’est dans une autre série qu’il va prendre de la carrure : What We Do in the Shadows, sûrement parce qu’elle lui permet, plus que toutes les autres, d’allier ses deux passions : la comédie et la chanson. À l’écran, dans la peau de «Laszlo» Cravensworth (un vampire de 310 ans issu de la noblesse britannique), il forme un duo avec Nadja, qui l’a mordu, possédé et avec laquelle il s’amuse à réinventer l’histoire de la musique. Le tandem prétend ainsi être le compositeur, aux XVIIIe et XIXe siècles, des tubes que sont Kokomo et Come On Eileen, faussement attribués, donc, aux Beach Boys et aux Dexys Midnight Runners. Ce n’est que de la fiction, mais derrière la farce, Matt Berry en profite pour montrer qu’il est aussi un musicien, à l’aise aussi bien au piano et à l’accordéon qu’à la guitare.

En studio, c’est sensiblement la même histoire : en dehors de l’appui à la batterie d’un fidèle (Craig Blundell) et la présence régulière d’invités de passage, le gaillard assure tout lui-même, pour une discographie affranchie de toute contrainte, démarrée en 1995 et riche aujourd’hui d’une dizaine d’albums (la plupart estampillés Acid Jazz Records). Parmi ses récentes productions, notons The Blue Elephant (2021), invitation aux sons vaporeux des «sixties», et même de la «musique de bibliothèque», compilée sur Simplicity (2023). Une  preuve supplémentaire que Matt Berry ne se fixe pas de limite dans ses envies artistiques, ce qui se confirme avec Heard Noises, nouvelle démonstration du talent multifacette et de l’indépendance de cet homme qui sait tout faire.

Je suis juste un homme qui essaye de survivre

Les quatorze chansons de l’album, durant quasi cinquante minutes, montrent plusieurs choses : d’abord, et c’est essentiel, que si Matt Berry aime le psychédélisme, il n’en abuse pas. Bien sûr, avec lui, il y aura toujours des morceaux vertigineux, des vagues d’effets tourbillonnants, des chœurs aériens et des compositions labyrinthiques. C’est le cas sur ce Heard Noises, notamment sur les minimalistes Be Alarmed et I Entered As I Came, privés de toute structure classique. Mais son rock, teinté de soul, de blues et de folk, garde aussi les pieds sur terre, comme l’affichent certaines mélodies plus «carrées», colorées ici par le soleil de la Californie et une forme de nostalgie vintage pour les années 1970.

Ensuite, et c’est non moins important, Matt Berry prouve une fois encore qu’il a du génie à revendre. À la production, à l’écriture et à l’exécution, on n’enregistre aucune fausse note, ce qui fait dire à la presse anglo-saxonne que ce dernier disque domine tous ses précédents. Comme les autres, en tout cas, il conserve la vision singulière et gentiment décalée de son créateur, comme lorsqu’il invite dessus la chorale… de sa mère (le S. Club 60s Choir). Comme les autres, aussi, il démontre qu’aucun instrument ne lui résiste, de la basse aux divers claviers en passant par le mellotron. Sur le premier single sorti il y a quatre mois, I Gotta Limit, dans lequel il cherche à se faire pardonner auprès d’une femme (jouée par Kitty Liv, du groupe familial Kitty, Daisy & Lewis), il déclare : «I am a man who just tries to survive» («Je suis juste un homme qui essaye de survivre»). Vu tout ce qu’il fait depuis une double décennie, il comprendra que l’on doute de l’affirmation.