Cette semaine, on passe en revue l’album electro psychédélique De Pelicula, de The Limiñanas et Laurent Garnier, sorti le 10 septembre sur le label Because.
Moteur, action ! Si le grand écran reste résolument noir, la musique, elle, plonge dans une atmosphère poisseuse, sombre, transpirante. On serait, selon The Limiñanas, tout près de la frontière espagnole, à une demi-heure de leur région, l’Occitanie. Là, deux mondes se confrontent : le glauque (prostitution, misère) et le beau, avec des paysages rappelant les vieux westerns «spaghettis». C’est dans ce décor de tous les possibles que se dessinent les amours contrariées d’un duo ardent, tout au début des années 80.
Saul, le héros, on le sait, va mal finir. «Il y a de la cruauté dans l’air !», annonce ainsi la première chanson, sans autre forme d’avertissement. Juliette, sa passion, travaille elle «dans une caravane des années 60». Elle est prostituée, et n’a pas 18 ans. D’emblée, d’autres couples mythiques du 7e art, tout aussi cabossés, paumés, voyous et aux mêmes élans romantiques exaltés refont surface : Laura Dern et Nicolas Cage (Sailor et Lula) ou encore Patricia Arquette et Christian Slater (True Romance).
De Pelicula (qui signifie «un film», mais aussi «ça roule» en espagnol) serait donc «la bande-son d’un scénario de film noir psychédélique», comme l’écrivent ses géniteurs. Un road trip qui se déroule pied au plancher et musique à fond la caisse. Sur le poste de radio, de la pop aérienne et du rock tout aussi planant tournent en boucle. Une ambiance à la fois rassurante et menaçante, qui renvoie au cinéma de Quentin Tarantino et de Sergio Leone, pour ne citer qu’eux.
Depuis quelques années, The Limiñanas, porté par Lionel et Marie, tandem à la vie comme sur scène, impose son univers particulier, fait de transe, de guitares distordues et de bricolages sonores. Appréciant la compagnie, on les a vus s’acoquiner notamment avec l’actrice Emmanuelle Seigner et Anton Newcombe (leader des Brian Jonestown Massacre) pour un résultat enthousiasmant et tranchant comme une lame : L’Épée, collectif défendant sur disque (Diabolique, 2019) un rock abrasif et fiévreux, invoquant autant le Velvet Underground que Ronnie Bird.
Une «French Touch» qui, pour ce nouveau projet, s’est tournée vers l’un des représentants phares de ce courant musical : Laurent Garnier, qui reprend là du service avec délice. Car comme le suggère l’un des douze morceaux réunis sur De Pelicula, tout est ici question de boucles, de répétitions et de rythmiques entêtantes, familières pour le trio : la house de Detroit pour le DJ star de l’électronique; Can ou Neu !, chantres du krautrock, pour The Limiñanas. Un «gang soudé» comme ils le disent qui, pour ce disque voyageur, a cherché l’harmonie et la cohésion.
Ainsi, Laurent Garnier a évité les pièges des artifices binaires. Discrètement, il a amplifié le psychédélisme de ses deux partenaires de jeu, y apportant une touche dansante et de bonnes idées dans le mixage. Mieux, il donne de la voix – tout comme Lionel, Marie et deux autres invités (Bertrand Belin et Edi Pistolas) – parlant pour Saul ou le narrateur dans un «talk over» (texte parlé sur la musique) efficace. Une orientation qui, définitivement, lorgne le chef-d’œuvre conceptuel de Serge Gainsbourg, Histoire de Melody Nelson (1971). Une autre histoire d’amour à fleur de peau qui, comme le dit la rengaine, finit mal. En général.
Grégory Cimatti