De la joie, de la danse, de la bienveillance et de l’humanisme ! C’est la promesse de We’re OK. But We’re Lost Anyway, de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, sorti le 2 juillet sur le label Les Disques Bongo Joe.
Régulièrement, la Suisse dévoile de petits trésors musicaux, gentiment barrés, esquivant les chemins balisés pour mieux avancer à leur guise. Parmi les récentes propositions, saluons le rock rentre-dedans des Chikitas, l’ironie tranquille de Klaus Johann Grobe, l’inventivité décomplexée de Peter Kernel (auteur d’un savoureux concert en 2019 à la Kultufabrik à l’occasion du festival Out Of The Crowd) ou encore la bestialité d’Hyperculte, au mordant intelligent.
C’est justement dans ce duo que l’on retrouve Vincent Bertholet, contrebassiste et cheville ouvrière de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il est aussi le fondateur du label Les Disques Bongo Joe, sur lequel sort ce cinquième opus, We’re OK. But We’re Lost Anyway. Attention, avec l’OTPMD, il faut s’attendre à ce que les murs tremblent et s’effondrent. Ce collectif à géométrie variable (aujourd’hui composé de 12 membres) aime en effet briser les cloisons, entre lesquelles, c’est entendu, on respire mal.
L’intention de mettre un joyeux bazar tient, d’entrée, dans l’appellation. Un double hommage : d’abord aux groupes traditionnels africains (Orchestre Tout Puissant Konono n°1, OTP Poly-Rythmo, OTP O.K. Jazz…). Ensuite à Marcel Duchamp, figure majeure de l’art du XXe siècle, qu’il a secoué comme une branche par sa radicalité et son envie de n’en faire qu’à sa tête. Vincent Bertholet et sa bande trouvent dans ce dynamiteur dadaïste un modèle à leur goût, eux aussi motivés à l’idée d’exploser, dès qu’il se peut, les carcans artistiques.
La démonstration, comme sur ce cinquième disque, confirme cette envie d’ouvrir le champ des possibles. Soit des multi-instrumentistes, chanteuses et chanteurs, réunis pour une grande cérémonie, festive et décomplexée, qui s’affranchit des genres, des époques et des frontières. Tenter de cadrer l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est dans ce sens autant utile que de donner un vélo à un poisson. Admirons plutôt les références musicales, en pagaille : afrobeat, highlife, funk, soul, jazz, pop, dub, punk, krautrock, samba, arrangements symphoniques…
Mixées à gros bouillons, elle se mélangent, décomplexées et affranchies, dans un élan tantôt agité, tantôt planant. Malgré, parfois, quelques guitares chargées d’électricité qui rugissent, l’OTPMD cherche l’hypnose, multipliant les couches d’instruments et ne déviant pas du rythme imposé par la batterie-contrebasse. Autour de ces deux-là, le reste de la troupe, comme une vague, vient et se retire. Presque rituelle, leur musique se double de textes sur le monde qui marche sur la tête.
«Des conteneurs européens, remplis de pommes pour la Chine, croisent dans l’océan Indien, des conteneurs chinois remplis de pommes pour l’Europe», chantent-ils ainsi, d’une voix monocorde, suivi d’un rire fatigué, dans Flux. Les huit autres titres, chacun à leur façon, trouvent le remède – ou un souffle apaisant : de la joie, de la danse, de la bienveillance et de l’humanisme. Des vertus, comme un sens aigu de la modestie, que l’on retrouve chez les vieux briscards néerlandais de The Ex (dont l’OTPMD partage également certaines racines musicales). Mais évitons les comparaisons. Elles ont tendance à réfréner les courses folles.
Grégory Cimatti