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[Album de la semaine] Lalalar, forts comme des Turcs!


Un mois de mai généreux en sorties importantes et de qualité a défilé au détriment d’autres perles musicales passées, elles, sous les radars.

Ainsi, on ne sait pas très bien si notre découverte du premier album de Lalalar arrive avant ou après la «hype». De toute évidence, le groupe stambouliote est le dernier venu dans l’univers électrisant du rock turc, où psychédélisme et «revival» de la musique traditionnelle anatolienne font bon ménage. Mais ses membres ne sont plus de jeunes pousses : les trois ont un bagage suffisamment reconnu pour faire de Lalalar un événement. Le guitariste et chanteur Ali Güçlü Şimşek est issu de Çilekeş, groupe précurseur du rock turc actuel, Barlas Tan Özemek était l’une des têtes pensantes de la formation free jazz Konstrukt, et Kaan Duzarat n’est ni plus ni moins que l’un des DJs les plus respectés d’Istanbul. Un supergroupe, en quelque sorte, que confirme le titre de l’album, approximativement traduit par «c’est de la folie».

Lalalar joue fort et pousse le rock dans ses retranchements

Un disque bien nommé, donc, puisque l’on mettra quiconque au défi de dépasser les quinze premières minutes d’écoute sans être contaminé par l’énergie furieuse du trio, qui livre pendant 1 h 10 un véritable show sur galette. Les trois premiers titres suffisent à installer leur univers, qui prend ses distances avec le retour aux sonorités folkloriques dont se sont emparés Altin Gün, Gaye Su Akyol ou Derya Yildirim : Lalalar joue fort, règle numéro un pour toute formation rebelle, et pousse le rock dans ses retranchements pour explorer d’autres horizons. C’est ce que l’on doit sans doute à ses membres issus d’horizons différents, qui ont grandi aussi bien avec la techno de Detroit qu’avec la new wave britannique ou berlinoise.

Bien sûr, ce sont les mélodies arabisantes et les samples de rock psychédélique anatolien qui prévalent tout au long de ce Bi Cinnete Bakar, et ce, dès Isyanlar, ouverture géniale et sautillante au riff piquant comme un dard, mais chaque titre renferme son propre monde. Le sample de violon entêtant qui ouvre Abla Deme Lazim Olur devient le tremplin qui rythme tout le morceau, déchaînant à chacun de ses passages un groove monstrueux. Yamyam, tube en puissance, se paye toute une dernière partie sur des percussions tribales et le groupe, chargé à bloc, récidive sur Kötuye Bişey Olmaz, l’un des grands moments du disque, qui glisse progressivement vers un trip spatial avant de se clore dans une ambiance noire, proche d’une drum’n’bass sur laquelle continuent de gronder des guitares devenues metal. Avec le furieux Ninja Partisi, c’est même du côté de la dance et des hymnes de clubs que lorgne le groupe.

Constamment à la croisée des genres, Lalalar envoûte jusqu’à la possession. Les «grooves» que le trio distille sont hypnotiques, à l’instar d’un chanteur qui redouble d’astuces pour trafiquer sa voix : fidèle aux modèles psyché qui coulent dans ses veines, il lui donne de l’ampleur avec de l’écho, mais est tout aussi prompt à la triturer à l’aide de saturations et de grésillements, partagés par la basse et la guitare. Quand, à l’inverse, la voix est claire, Ali Şimşek chuchote ou part dans le «spoken word» (Kilavuz Karga, Depresyondan Çiktim Boşluktayim). Quand arrivent les derniers titres, la funk de Simülasyon Terk et les expérimentations folk de Bi Cinnete Bakar, on a arrêté de compter depuis longtemps les innovations et excentricités amenées par le groupe. «Lala», en turc, est le mot qui désigne le sage, mais en argot, le même mot est utilisé pour désigner celui qui ignore de quoi il parle. De quoi bien résumer ces savants fous, indubitablement l’une des grandes découvertes de l’année.

 

Lalalar – Bi Cinnete Bakar

Sorti le 6 mai

Label Les Disques Bongo Joe

Genre rock