Kurt Vile crée un album comme d’autres artistes compilent des démos. La preuve avec (Watch my moves), sorti mi-avril.
Avec ses chansons nonchalantes qui sentent la poussière et les grands espaces, Kurt Vile s’est imposé, depuis quelques années, comme un contemplatif à la cool, un poète du peu. Celui qui sait faire un pas de retrait pour raconter la folie des hommes, celle juste là sous ses yeux. Toujours en arrière-plan, on l’imagine bien, dans un fantasme cinématographique, guitare en bandoulière, indifférent au chaos, à la violence aveugle et aux règlements de comptes. Sur son fidèle destrier, avant le générique de fin, il partirait impassible vers le soleil couchant et le cœur des Rocheuses.
Un «lonesome cowboy» qui, à l’instar de ses contemporains, a lui aussi été contraint à la solitude forcée, celle imposée par la crise sanitaire qu’il a essayé d’égayer au mieux. Pas évident, surtout quand la maladie est venue emporter l’un de ses mentors, John Prine, décédé en tout début de pandémie – il rendra d’ailleurs hommage à cette légende de Nashville dans un EP forcément très country (Speed, Sound, Lonely KV). Mais loin de se morfondre dans son coin, le «hitmaker» autoproclamé de Philadelphie a décidé, dans un souffle finalement bienvenu, de faire le point sur sa vie, lui qui, en mars 2020, était totalement rincé, selon son propre aveu.
Finis, donc, les interminables tournées, les compositions écrites sur un coin de banquette dans un bus et les albums enregistrés aux quatre coins des États-Unis. L’heure est à la pause, à la routine du quotidien sans soubresauts, à l’acceptation sereine du confinement, au bonheur immobile. Le fondateur du groupe The War on Drugs, 42 ans, ne s’en cache pas : «Aujourd’hui, mon passe-temps favori est de m’asseoir le matin après le petit-déjeuner près de la fenêtre, de lire et d’écouter Sun Ra, de regarder le soleil brillant à travers les arbres de la forêt», écrit-il.
(Watch my moves), son neuvième disque depuis ses débuts en 2008, résume tout cela. Il prend alors la forme et l’air d’un voyage mental, spirituel même, tout en décontraction. Comme à son habitude, le musicien qui sait tout faire joue à l’équilibriste entre impulsions électriques et acoustiques, lâche parfois la guitare pour le piano, garnissant ses réflexions sur la vie qui passe d’arpèges sans fin. Car Kurt Vile, dans ce retranchement qui n’a rien d’habituel, n’est soumis à aucun rythme, aucune pression, en dehors de celle qu’il veut bien s’imposer. Certaines chansons prennent ainsi leur temps, flirtant avec les sept minutes (Like Exploding Stones, Wages of Sin, Stuffed Leopard).
Comme s’il se trimballait en permanence un magnétophone, prêt à saisir le bruissement de la nature qui l’entoure ou à capturer une idée de passage dans ses filets, Kurt Vile crée un album comme d’autres artistes compilent des démos. Tout semble être spontané, honnête, sans esbroufe ni paillettes. En témoignent ces quinze titres paresseux, un peu «lo-fi» et au chant blasé, qui s’étalent sans gêne sur une heure et quart, remplis de mélodies, de rêves, d’observations terre à terre et de bonne humeur.
On y parle de joies familiales simples, de promenades en forêt, de sessions d’enregistrement en caleçon et de bières consommées en écoutant Neil Young, Bruce Springsteen ou encore Lou Reed, seul ou accompagné (on retrouve notamment Cate Le Bon sur Jesus on a Wire et Chastity Belt sur Chazzy Don’t Mind). (Watch my moves), malgré son appellation un brin ironique, est donc à voir comme un monument d’errance, qui dévoile ses charmes cachés tranquillement, sans se presser. Kurt Vile, dans son habituel sourire narquois, se dit que le bonheur est finalement une chose simple. Et qui se partage, évidemment.