Kevin Morby nous séduit avec Sundowner, sorti sur le label Dead Oceans.
Il y a de ces musiciens pour qui tout semble facile : composer une mélodie, un standard, un album entier même. Un exercice qui, chez eux, semble inné, au même titre qu’une respiration. Kevin Morby est de ceux-là. Sa splendide discographie, entamée en 2013 depuis qu’il a décidé de s’affranchir de ses précédents groupes (Woods, The Babies), se veut témoin de cette avancée tranquille, ponctuée ici et là de seulement quelques hésitations. Oui, l’ensemble force au respect car sur chacun de ses six disques, rien ne semble excessif. Point de grandiloquence en effet chez lui, mais une justesse et une humilité, portées par le piano, la guitare ou cette voix fatiguée, parfois appuyée, comme un tuteur, par celle de sa moitié, Katie Crutchfield (alias Waxahatchee).
De modestes ballades qui, pourtant, explorent avec grâce tout le patrimoine musical américain, suivant les traces, presque sans le vouloir, de légendes comme Bob Dylan, Léonard Cohen, Randy Newman, Lou Reed. C’est que le garçon, 32 ans, apprécie la nostalgie, ne serait-ce que pour louer la beauté d’un temps passé ou pleurer des amis disparus. Mieux, ses chansons d’amour et autres hymnes tristes portent dans leur ADN une patine très «sixties», comme c’est aussi le cas chez d’autres (Bill Callahan, Bonnie Prince Billy). Indécises, elles se veulent parfois rock, pop, folk, country même, à l’instar de cette dernière production, Sundowner, qui le ramène sur ses terres d’origine, au cœur de Kansas City (Missouri).
Avant ce joli retour aux sources pour une vision quasi mythique du Midwest, ses autoroutes interminables et ses couchers de soleil d’un rose de carte postale, Kevin Morby a taillé la route, usé ses semelles sur les trottoirs des grandes villes, auxquelles il a rendu d’ailleurs régulièrement hommage : sur son premier disque (Harlem River, 2013), c’était New York City. Sur Singing Saw (2016), c’était la Californie. Sur City Music (2017), enfin, il évoquait Memphis ou encore Los Angeles. Une histoire de l’Amérique qui, l’année dernière, prenait la forme d’une œuvre empreinte de spiritualité (Oh My God).
Dans une veine intimiste, Kevin Morby invite à découvrir l’univers de son enfance
Après cette opulence mystique qui, parfois, pouvait se perdre dans des voix impénétrables, Sundowner se veut un album plus affûté, plus dépouillé aussi, à la frontière du lo-fi. En somme, plus terre à terre, avec son feu de camp, crachant sa fumée sous un ciel étoilé. Une orientation qui se justifie avec cette pandémie mondiale, conduisant Kevin Morby à aménager un petit cabanon situé dans son jardin, à la merci des éléments. Et avec, en guise de jouet, un magnétophone quatre pistes à l’ancienne. C’est donc dans une veine intimiste qu’il invite ici à découvrir l’univers de son enfance, celui de Lubbock, localité du nord-est du Texas, qui a vu naître Buddy Holly et grandir Terry Allen. Mais aussi des proches perdus, oubliés (Jamie, mort à 25 ans, mais aussi Desi et Jessi).
Un appel qui se veut au grand air, avec cette pochette où il pose dans une chambre ouverte aux quatre vents, en pleine nature et sous un ciel nuageux. Car oui, le temps qui s’annonce n’est pas rassurant. Tout est même dans le titre, Sundowner pouvant se traduire par ce sentiment de désarroi et de tristesse quand la nuit arrive. Une mélancolie à fleur de peau et des bleus à l’âme que Kevin Morby, aujourd’hui loin du vacarme de l’époque, cherche à calmer dans une quête du beau. Certes, tout n’est pas entièrement sombre car avec lui, il y a toujours un peu de lumière au crépuscule. Mais cela durera-t-il dans une Amérique qui se déchire ? Dans ce sens, comme se questionnait le philosophe sceptique David Hume, le soleil se lèvera-t-il encore demain ?
Grégory Cimatti
Kevin Morby, Sundowner. Dead Oceans.