S’il y en a un qui, aujourd’hui, porte le masque mieux que tout le monde, c’est bien Jonathan Bree ! Sorte de Fantômas de la pop orchestrale, il ne quitte plus son camouflage depuis quelque temps maintenant.
Même sur scène, la transformation s’opère : ce fan du col roulé et du personnage en bois de la publicité pour le dépoussiérant O’Cedar s’accompagne en effet d’un bassiste aux yeux bandés et de danseuses-automates. Une transformation, peut-être, à mettre sur le compte de son passé, un affranchissement même, lui qui a fondé, en 1998 avec Heather Mansfield, sa compagne d’alors, le groupe The Brunettes, aux élans légers et un brin naïfs.
C’est dit, depuis son éclosion en solo, il y a sept ans, il avancera voilé, le visage recouvert d’élasthanne, son cocon à lui. Pour vivre heureux, vivons cachés ? Pourquoi pas, mais pas sûr que la formule lui corresponde bien. Remarque d’autant plus valable que ce quatrième disque en son nom évoque la fin d’une histoire d’amour et la déprime qui s’ensuit. D’une voix d’outre-tombe, et la figure toujours aussi inexpressive, il transporte qui veut bien l’entendre dans un étrange songe. Avec ce curieux maître de bal, on valse dans un manoir poussiéreux, sous un lustre millénaire et au milieu d’inquiétantes poupées, aux chorégraphies robotiques.
Tout invite en effet ici au spleen, à la nostalgie, à la rêverie, distillé avec élégance et maîtrise, comme il l’a déjà prouvé sur son dernier disque, Sleepwalking (2018). En son sein, le single You’re So Cool, pépite pop à la mélodie lancinante et au clip hypnotisant sur fond d’orchestre «sixties» sans figure, continue aujourd’hui d’affoler les compteurs sur YouTube (plus de 15 millions de vues cumulées).
After The Curtains Close reprend sensiblement la même recette, énigmatique et fascinante, bien qu’un peu plus lisse. On y retrouve, en tout cas, les influences du garçon, que l’on évoque Scott Walker, Serge Gainsbourg, Jean-Claude Vannier (jamais loin du premier cité), mais aussi, plus récent, The Last Shadow Puppets. Pour parfaire le tableau, rappelons qu’il verse aussi dans la musique classique, celle de Tchaïkovski et de Bartók plus précisément, d’où, sûrement, ses arrangements tout en cordes et en chœurs célestes.
Toujours sans faire de bruit, presque évanescent, ce multi-instrumentiste à la tête de son propre label (Lil’ Chief Records) et orchestre «pop» à lui tout seul concocte, une fois encore, des mélodies baroques, ciselées, jamais évidentes, qu’il noircit à l’envi en fonction de son moral. Pour le coup, ça ne va pas très fort, puisqu’il est question de rupture, de méditation solitaire, de doutes, de manquements…
Pour raconter son cœur en miettes, il s’appuie sur sa voix de crooner désabusé, qui ramène parfois à celle de David Bowie, lui aussi féru d’histoires et de travestissement. Mais plutôt que d’être esclave de la pesanteur, Jonathan Bree prend de la hauteur, se fait cynique, cherche à rompre avec la mélancolie, s’ouvre à la lumière, porté par les voix féminines qui lui rappellent dans la dernière chanson (After the Curtains Close) : «Honey don’t despair, she’s still out there» : («Chéri, ne désespère pas, elle est toujours là»). Preuve que sous l’apparence fantomatique, il y a bien un petit cœur qui bat.
Grégory Cimatti