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[Album de la semaine] «In Waves» de Jamie xx, chaos organisé


Après la déflagration In Colour (2015), Jamie xx a passé une bonne partie des neuf dernières années aux abonnés absents de sa propre discographie.

On ne peut bien entendu pas négliger son apport, bien que dans l’ombre, à de récents titres de Florence + the Machine (Big God), Mark Ronson et Miley Cyrus (Nothing Breaks Like a Heart) ou Tyler, the Creator (Rise!), encore moins au Blonde de Frank Ocean (2016). Et si le Londonien n’est jamais resté trop longtemps éloigné des clubs et des «boiler rooms», il lui restait encore à franchir l’étape fatidique du deuxième album. Neuf ans ont suffi à changer encore plus radicalement les façons de composer, de distribuer, de diffuser – bref, de concevoir – de la musique; la simple évocation de Young Thug et Popcaan, présents sur In Colour, suffira d’ailleurs à nous donner un petit coup de vieux. Pourtant loin d’avoir mal vieilli, ce premier album à la créativité et à la virtuosité indiscutables sonne aujourd’hui plus relâché qu’avant-gardiste : la techno disruptive de Bicep ou Floating Points, l’hyperpop épileptique concoctée par A. G. Cook pour Charli XCX, la dance maquillant les essais pseudo-intellos de Fred Again, les élans rétros d’Overmono ou Peggy Gou sont entre-temps tous passés par là, et c’est tout un genre musical qui s’en voit métamorphosé.

Il faut cependant noter que, si le pilier de The xx est tenu pour l’un des plus gros cerveaux de la scène electro – et ce, de manière égale par les rappeurs, les stars de la pop et ses collègues bidouilleurs de platines –, c’est bien qu’il a quelque chose en plus. Les rares compositions, sorties de manière (très) ponctuelle depuis 2020, rappelaient l’amour de Jamie Smith pour l’art du sample, des extraits que le musicien se plaît à tordre, découper, plier, augmenter, voire malmener (sur fond de jungle dans Idontknow, en 2020, ou accentuant l’aspect «afrohouse» de Kill Dem, en 2022). Le sample, d’une certaine manière, est au cœur de In Waves; si l’on devait dresser la liste des sons qui ont fait leur chemin jusque dans l’album fini, on découvrirait autant un monde d’inspirations revendiquées par ce «digger» né que la colonne vertébrale d’une nouvelle œuvre musicale qui entend conjurer le sort de l’electro (l’album ayant été initialement conçu en confinement) par le défoulement et un brin de nostalgie réconfortante. Ainsi, Treat Each Other Right, deuxième titre de l’album et l’un des meilleurs garants de cette «dancefloor energy», joue habilement avec les fragments empruntés à un titre d’Almeta Lattimore (ancienne choriste d’Aretha Franklin et diva soul de l’ombre).

Tout est calculé, mesuré, cohérent, naturel en somme

Jamie xx, que l’on connaît aussi largement comme roi du remix, cite encore la reine de la bossa nova Astrud Gilberto (sur la house «downtempo» de Daffodil, avec Kelsey Lu et Panda Bear), Cerrone (Life, avec Robyn, pur instant disco qui cède le pas à une seconde moitié d’album plus méditative), voire même The Moody Blues (Still Summer, sorte d’hymne rave qui amène avec lui l’énergie d’un petit matin à Ibiza). Tout est calculé, mesuré, cohérent, naturel en somme. Un peu comme ces illusions d’optique qui illustrent In Waves et qui confirment qu’ici, l’équilibre entre ordre et chaos est parfait. C’est – pour peu que l’on préfère la réflexion à la danse – l’idée qui semble traverser tout le disque, ici avec un concept agréable et ludique (avec Waited All Night, la reformation de The xx au complet prend une saveur «UK garage» inattendue), là en se faisant plus sérieux (le final Falling Together s’amuse avec l’acid house en y superposant un «spoken word» de la danseuse irlandaise Oona Doherty). Reste un constat implacable : c’est quand il frappe le plus fort, et sans ambages (Baddy on the Floor, énorme claque qui mélange basses hyperprofondes et cuivres, et qui déconstruit la partie vocale assurée par Honey Dijon), que Jamie xx est au top de sa puissance.

Jamie xx – « In Waves »

Sorti le 20 septembre

Label Young

Genre electro