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[Album de la semaine] Heavy Is the Head, de Stormzy


Le rappeur britannique sort un nouvel album avec une touche incomparable (Photo : AFP).

Voilà un homme-comète. Un artiste en connexion avec son temps, ne serait-ce que pour sa propension à faire tout vite et mieux que tout le monde. En seulement deux petites années, Stormzy s’est en effet hissé au sommet du paysage musical britannique : il surprend encore avec Heavy Is the Head.

L’artiste est pourtant estampillé «grime», un genre musical fait de basses hurleuses et de sonorités glaciales qui, par son essence même, devait rester cantonné à l’underground. Avec certains de ses collègues, comme Wiley ou Skepta, il a su (et ce n’est pas rien) mettre ce son brutal et futuriste au premier plan, au point de devenir incontournable.

L’histoire débute avec un disque, Gang Signs & Prayer qui, dès sa sortie en 2017, fait un malheur dans les charts. Quelques mois plus tard, il était récompensé du Brit Award du meilleur album, équivalent britannique des Victoires de la musique. Au printemps dernier, même succès pour son single Vossi Bop, propulsé en tête des ventes, dans lequel il tacle – c’est de bon ton – les dirigeants britanniques («Fuck the government, fuck Boris»). Que dire de son coup d’éclat, cette année, au mythique festival Glastonbury, où il a mis le feu à la scène, accompagné d’un interprète en langue des signes, au point, parfois, d’aller trop vite en besogne – il s’est déclaré premier artiste britannique noir à en être la tête d’affiche, titre revenant en réalité au groupe Skunk Anansie.

Mais qu’importe, on pardonne tout aux idoles, surtout quand elles prennent le parti des classes populaires ou minoritaires (comme la communauté afro-britannique), cause que Stormzy défend à travers les mots… et les gestes : ainsi, quand l’Université de Cambridge concédait qu’un quart de ses 31 établissements n’avaient admis aucun étudiant noir entre 2012 et 2016, il lançait des bourses d’études pour lutter contre cette sous-représentation. Et avec sa maison d’édition Merky Books, il offre aux écrivains noirs une plateforme nécessaire pour publier leurs œuvres. Forcément, depuis, le garçon a fait la Une du Time, et ses tweets sont désormais passés à la loupe. D’où, sûrement, cette pochette choisie pour son nouvel album, Heavy Is The Head : il y apparaît torse nu, auréolé d’une couronne reprenant les initiales du titre (H.I.T.H.) et regardant un gilet pare-balles – customisé par Banksy – orné du drapeau du Royaume-Uni. Une appellation qui se réfère, aussi, au proverbe repris par Shakespeare dans la pièce Henry IV : «Heavy is the head that wears the crown» («Lourde est la tête qui porte la couronne»).

 

Collaborations bien senties

Non, Stormzy n’est pas du genre à fuir ses responsabilités, aussi «lourdes» soient-elles, et cette mission, il l’assume et la concrétise à travers une longue suite de chansons (16 pour être exact), dévoilant quelques collaborations bien senties (Headie One, Tiana Major9, Yebba, H.E.R, Aitch et même Ed Sheeran!). Un album fait aussi de chœurs d’église, de basses tapageuses et de cordes qui montent dans la stratosphère qui, il faut l’admettre, menace parfois de céder sous le poids de sa propre ambition. Les puristes, eux, devront se contenter d’arrangements et d’une production plus lisses qu’à l’accoutumée. Mais l’artiste sait y faire, distillant le chaud et le froid, superposant élans expérimentaux et propositions faciles, au ras du sol. Comme dans la vie elle-même, on y trouve de l’humour, de l’amour, du chagrin, mais aussi de la politique, des crises identitaires… Un disque à prendre, donc, à hauteur d’homme. Tout au long, Stormzy scande, chante, se vante, blesse et s’excuse avec force. Toute la puissance et la vulnérabilité d’un désormais leader qui accepte de porter la couronne, à condition que l’héritage ne soit pas trop dur à trimballer. Et en plein Brexit, mieux vaut avoir les épaules solides.

Grégory Cimatti

Stormzy, «Heavy Is the Head», Sorti le 13 décembre
Label : #Merky / Atlantic Records Genre : rap