Cette semaine, Song Machine, Season One : Strange Timez, de Gorillaz.
Damon Albarn est un superhéros de la musique que rien ne peut stopper. En fait, on ne peut tellement pas l’arrêter qu’il serait plutôt tous les Avengers à lui tout seul. Mais dans le nouvel album de Gorillaz, qui fait suite à The Now Now (2018), le groupe virtuel créé par Albarn et Jamie Hewlett réunit près d’une trentaine d’invités (!) pour l’épauler dans des «temps étranges», bref, une vraie fanfare, quoi.
À l’heure où l’on limite les déplacements et où les artistes trouvent des alternatives pour proposer de nouvelles choses à leur public, Gorillaz associe dans ce septième album des musiciens de tous les horizons, de tous les âges, styles et degrés de célébrité, qui viennent des quatre coins du monde, des Japonaises de Chai à la Sudafricaine Moonchild Sanelly en passant par Slowthai ou Octavian jusqu’aux figures quasi christiques d’Elton John et de Robert Smith.
C’est d’ailleurs ce dernier qui ouvre le projet Song Machine dans une atmosphère gothique qui sied bien au leader de The Cure – on retrouvera la même inspiration new wave quelques titres plus tard, dans Aries, qui invite le bassiste de Joy Division et New Order, Peter Hook – pour y chanter les lamentations des temps actuels.
L’ambition de ce nouveau projet, dont le titre complet appelle, forcément, à une «Season Two», est claire : faire part des préoccupations de l’époque (et en bon troubadour moderne, Albarn a des sacs pleins de préoccupations) et dresser une galerie à la fois sélective et exhaustive du paysage musical contemporain. «Juste au cas où», prévient le groupe…
L’empreinte futuriste de Gorillaz
Le monde tel qu’on le connaît depuis 2020 est celui de l’incertitude; avec Song Machine, Gorillaz offre aux artistes les plus pertinents de notre époque un espace de liberté où ils réfléchissent, face à eux-mêmes mais aussi très bien entourés. La crise sanitaire préoccupe une bonne partie des invités, mais les thèmes abordés s’étendent bien au-delà de ce qui se passe dans le «now now».
Strange Timez cristallise tous les thèmes politiques, sociaux et économiques qui seront abordés par la suite : on y parle notamment des violences policières et du sentiment de se sentir coincé dans le monde comme dans un jeu vidéo (Pac-Man, avec un Schoolboy Q surpuissant), des questionnements liés au Brexit (How Far?), le morceau de clôture qui convie Skepta et le percussionniste et ami de longue date de Damon Albarn Tony Allen, dont c’était l’une des dernières apparitions avant son décès en avril dernier)…
Et, comme une épée de Damoclès, le fantôme du danger sanitaire plane au-dessus de cet album qui déjoue ces temps étranges avec un casting muséal et des compositions superbes, riches de nombreuses couches et d’une large palette de mélanges, complexes dans l’exécution, mais qui ont invariablement l’empreinte futuriste de Gorillaz, qui n’abandonne pas la touche «synthpop» de son précédent album.
On parle aussi d’amour dans Song Machine. Des amours brisées, qui ouvrent des plaies qui ne se referment pas. Dans The Pink Phantom, un Elton John plein d’émotion livre un très beau refrain la gorge serrée, face à l’amertume des rimes de 6lack. C’est encore plus désespérément que l’on aborde le sujet dans Dead Butterflies, qui introduit la discrète Roxani Arias et le rappeur Kano, encore trop peu connu de notre côté de la Manche.
Enfin, c’est en langue française que Damon Albarn chante la tristesse amoureuse avec la Malienne Fatoumata Diawara – les deux viennent également de dévoiler à Paris un spectacle créé avec le cinéaste Abderrahmane Sissako, Le Vol du boli – et les cuivres du gracieux Désolé. Peu importe à quel point les temps sont étranges, nous pourrons toujours compter sur Gorillaz pour nous rendre la vie plus colorée.
Valentin Maniglia
Song Machine, Season One : Strange Timez, de Gorillaz. Sorti le 23 octobre. Label Parlophone. Genre pop/electro.