Cette semaine, on vous parle de Genesis Owusu avec Smiling with No Teeth.
Il est d’usage de dire que les apparences sont parfois trompeuses, et avec Genesis Owusu, la preuve en est concrète. Il suffit d’ailleurs de voir la pochette de son premier disque pour s’en convaincre : avec sa tronche de travers, recouverte de bandages, ses grosses bagues et ses dents plaquées or, il laisse imaginer que l’on est ici dans du gros rap qui tache, genre «gangsta». Même le titre, Smiling with No Teeth, absurde et potache, n’aide en rien à cette interprétation. Ce n’est en rien le cas, bien au contraire, avec l’arrivée début mars de cet objet inclassable, unique, singulier. Une musique à la hauteur de son auteur, insaisissable.
Genesis Owusu, dès ses premières apparitions et deux singles qui ont fait parler d’eux – WUTD (2017) et Sideways (2019) – a affiché quelques certitudes : un goût pour le costume porté torse nu, un penchant pour la cagoule, qu’apprécient les danseurs choristes qui l’accompagnent en live ou sur clip, et surtout une envie, déjà marquée, de ne s’imposer aucune limite stylistique. Sous sa barbe et ses longues dreadlocks, le garçon, 22 ans, choisit… de ne pas choisir, mélange les couleurs, change d’humeur, d’atmosphère… Une musique «belle, jeune, laide, intemporelle, étrange», selon lui.
Les quinze titres réunis dans cet album témoignent de cet éclectisme sans retenue et de cette disposition à ne pas forcément vouloir plaire à tout le monde. Genesis Owusu, Ghanéen parti jeune pour l’Australie, n’en fait qu’à sa tête, et c’est tant mieux ! Comme dans un puzzle dont lui seul aurait l’image finale, il colle ensemble des pièces punk, dont celle d’ouverture qui rappelle la hargne de Death Grips (On the Move). D’autres soul, au charme imparable, mais aussi du hip-hop, de la pop et d’autres bizarreries, le tout avec une bonne dose de funk.
Sans la moindre gêne, et avec groove, il associe, dans ce qui s’approche d’un album-concept, du kitsch des années 80 avec des sonorités électroniques modernes, de lourds synthétiseurs à des guitares criardes, et mélange Prince, N.E.R.D., Kendrick Lamar (période To Pimp a Butterfly) dans le même shaker. Si l’ensemble ploie sur la fin en raison, sûrement, de sa trop grande richesse, les friandises sont si nombreuses (The Other Black Dog, Centrefold, Waitin On Ya, Don’t Need You, I Don’t See Colour…) qu’il serait difficile de faire la fine bouche. Et qu’importe si l’indigestion guette !
Cependant, pour s’épargner un trop-plein, on pourra toujours se concentrer sur les paroles et comprendre pourquoi le terme «black dog» revient si souvent dans la conversation. Genesis Owusu se l’attribue pour raconter le racisme dont il a été victime. Et le spleen qui lui colle à la peau. Dans un élan cathartique, il lâche alors les chiens qui, dans une énergie libératrice, tissent un premier album impressionnant. Pour le coup, ça lui donne de bonnes raisons de sourire. Avec une telle dentition, ce serait dommage de s’en priver.
Grégory Cimatti