Cette semaine, on se penche sur Voilà de Mr. Oizo & Phra. L’album de rap est sorti le 18 février, sur le label Ed Banger Records.
Qu’il est bon, dans une société normée et une industrie de l’art codifiée, de voir un mec n’en faire qu’à sa tête, derrière les platines comme derrière une caméra. Un grand barbu au regard malicieux qui attaque ses films et ses disques à la manière d’un équilibriste, sans trop y réfléchir, en laissant, comme on dit, la magie opérer. Mr. Oizo, alias Quentin Dupieux, est comme ça : libre comme l’air, se laissant aller à ses délires pour se marrer (beaucoup) et faire réfléchir (aussi).
Au vu de ses récentes sorties, on se dit donc que le père de Flat Beat (1999) – hit techno indémodable avec sa marionnette jaune devenue populaire grâce aux publicités pour Levi’s – a mis de côté la musique pour continuer à se faire une place au chaud dans le cinéma français. Sa signature, tantôt surréaliste, tantôt loufoque, semble en effet plaire de plus en plus, comme en témoignent ses derniers succès critiques (Au poste !, Le Daim, Mandibule).
D’ailleurs, son tout dernier, avec Alain Chabat et Léa Drucker au casting (Incroyable mais vrai), sort ces prochains jours, avec, s’il vous plaît, une première internationale au Luxembourg City Film Festival (en clôture, le 13 mars). Attendu, ce quatrième film en autant d’années a été soudainement (et temporairement) éclipsé par la sortie d’un nouveau disque. Une bonne surprise annoncée fin 2021 par le réputé label Ed Banger, qui aujourd’hui se dévoile et s’impose comme un trip réjouissant, bien que toujours déphasé.
D’autant plus extravagant que Mr. Oizo, ici, ne vient pas tout seul, s’étant trouvé un compagnon aussi singulier que lui : le rappeur milanais Phra, drôle d’oiseau et ex-membre du duo branché house Crookers. Une amitié qui ne date pas d’hier, puisqu’on les retrouve ensemble sur quelques singles qui comptent – dont l’excellent No Tony (tiré de l’album All Wet, 2016) et Dolce Vita (de l’EP Rythme plat, 2019). Apparemment, les deux-là étaient fait pour s’entendre, comme le prouve Voilà, courte mais belle réunion de madeleines transalpines ou, mieux, d’antipasti !
Bien emballées sous une pochette signée du célèbre graphiste Eric Haze (Check Your Head des Beastie Boys), ces neuf chansons racontent en creux ce qui unit les deux hommes : d’abord un franc penchant pour la rigolade, avec ces titres un brin farfelu (Foie gras, Serenata Barbecue…) et ces rires incrustés sur bande. Ensuite cette propension à casser les codes et aller où bon leur semble. Dans ce sens, Voilà cale ses pas dans ceux d’une référence du genre, au point même de le revendiquer : Madvillainy (2004) de feu MF Doom et Madlib.
Si le label Ed Banger évoque là un «EP généreux» (sûrement parce que Mr. Oizo, sympathique, y ajoute neuf instrumentaux afin de s’exercer derrière un micro), on est surtout en présence d’un beau délire, jubilatoire, souvent décalé et toujours claquant, avec un Phra joueur et des copains de chez lui pour le soutenir (Dio MC et Frah Quintale). Ainsi, sur des rythmes tranquilles et des visions souvent épicuriennes, le duo sait monter la température et plonge l’auditeur dans une sorte de romance à l’italienne.
Un plein de couleurs et de sensualité, à l’instar de Hot in Her, futur tube estival, idéal pour danser lascivement avec un Spritz à la main. Bien sûr, outre quelques apartés en mode balade le long de la Riviera, avec de bonnes idées et du vocodeur, le rap y trouve une place de choix, à travers des morceaux succincts assemblés en vrac. Un art du sampling qui rappelle celui de Geoff Barrow et ses deux compilations d’anthologie (Quakers et II – The Next Wave). En deux temps, trois mouvements, l’affaire est ainsi pliée, prouvant que la facétie peut être constructive. Et voilà !
Écouter l’album complet :