Cette semaine, on passe en revue l’album electro Escapades, de Gaspard Augé, sorti le 24 juin sur le label Ed Banger Records/Because.
On le connaît depuis une quinzaine d’années comme la moitié d’un couple musical qu’il forme avec Xavier de Rosnay, nommé Justice, l’un des actes musicaux les plus célèbres de la «French Touch» et piliers de l’incontournable label Ed Banger Records. À 42 ans, Gaspard Augé s’offre un pas de côté, une petite «aventure extraconjugale» de son propre aveu. Un Escapades amoureux, pour l’amour de la musique, cela va de soi. Et l’envie de continuer à explorer seul les origines de son monde. «C’est pas toi, c’est moi», l’entendrait-on presque dire à son comparse, à qui il avait déjà fait une semi-infidélité en 2010, quand il s’était associé à Quentin Dupieux, alias Mr Oizo, pour composer la bande originale de Rubber. Ce premier album n’a pourtant rien d’un «Augé partout, Justice nulle part» : c’est une échappée rétro en forme d’ode personnelle à tous ces éléments disparates qui rendent la musique du duo si particulière, si dansante, si géniale.
Amoureuses, certes, mais les douze Escapades de Gaspard Augé sont aussi temporelles. Pour preuve, la pochette «magritienne» de l’album, qui renvoie aux «artworks» surréalistes des 33 tours de Pink Floyd (Animals, Wish You Were Here) et Mike Oldfield (Tubular Bells). Un côté «collage» que l’on retrouve aussi dans la musique, qu’Augé dit avoir composée à partir de centaines d’«embryons» stockés tout au long des dix dernières années sur son disque dur. Et qui, au final, participent d’un grand voyage au milieu d’un espace-temps aux contours évanescents.
De prime abord, on traverse un no man’s land insaisissable, qui existe à travers des références en trompe-l’œil. Son atmosphère cinématique pourrait faire passer Escapades pour la bande originale d’un film qui n’existe pas, et sur laquelle seraient conviés Ennio Morricone, Giorgio Moroder, François De Roubaix et Goblin tous ensemble. Morceau charnière de l’album, Captain a même de faux airs du Vladimir Cosma de la toute fin des années 1970, période excessive de La Zizanie (Claude Zidi, 1978) et du Coup du parapluie (Gérard Oury, 1980). Du Cosma, on en trouve aussi plus tard avec Lacrimosa, au ton plus dramatique, ambiance thème de La Septième Cible (Claude Pinoteau, 1984).
D’Escapades émane aussi le goût prononcé de Gaspard Augé pour le rock progressif, qui ne se retrouve pas tant dans l’élaboration des mélodies que dans les instruments utilisés, en grande majorité analogiques (dont un synthétiseur ayant appartenu à Yes). Et qui dit rock progressif dit compositions démesurées. L’exubérance, c’est justement ce qui aide le musicien à dissimuler sa véritable ambition : derrière le baroque, il dévoile petit à petit un album qui reprend la grammaire de l’EDM («electronic dance music») mais dont les vertus dansantes se sont fait cannibaliser par la présence des mélodies opulentes. D’héroïques fantaisies, en somme.
En ouvrant l’album avec Force majeure, Gaspard Augé se débarrasse assez vite de l’aura de son groupe : le titre qui sonne le plus comme du Justice – il y reviendra vers la fin du disque avec Belladone – se conclut dans un fondu qui marque la transition en douceur vers quelque chose de nouveau. Quelque chose qui n’est pas taillé pour les stades ni pour les clubs (même si on résiste difficilement à l’envie de taper du pied sur Hey!) mais qui vient d’ailleurs, du pays des nouveaux classiques, et qui nous y emmène volontiers. Depuis, Gaspard Augé a retrouvé le chemin des studios avec Xavier de Rosnay, mais il se chuchote dans les couloirs d’Ed Banger Records que l’autre officier de Justice aurait, lui aussi, mis la touche finale à son premier album solo. Et selon un proverbe bien connu, là où commence le mystère…
Valentin Maniglia