Donner aux gens l’envie de sortir, de danser, de s’aimer, de s’embrasser… C’est l’ambition de Durand Jones & The Indications avec Private Space, sorti le 31 juillet, sur le label Dead Oceans.
Décidément, la soul se porte bien. Très bien même. «Depuis les années 70, elle n’a jamais suscité un tel appétit !», soutenait ainsi, il y a quelques jours, Durand Jones au magazine New Musical Express. Avec ses Indications, il a clairement contribué à cette résurrection. D’abord à travers un premier disque éponyme en 2016, suivi trois ans plus tard d’American Love Call, salué comme il se doit au cœur d’une scène talentueuse en pleine ébullition – Kelly Finnigan (leader des Monophonics), Lee Fields & The Expressions, Brittany Howard (chanteuse d’Alabama Shakes), Michael Kiwanuka ou encore Black Pumas.
Cette année-là, dans des albums de haute tenue, chacun avait célébré le genre à sa manière, sans retenue. Car parmi eux, certains n’ont d’yeux que pour le rétro, la nostalgie et le respect du «vintage». D’autres préfèrent donner une allure plus moderne à cet héritage peut-être trop pesant, évitant par-là même de tomber dans la grossière parodie. Tous, en tout cas, s’entendent sur un point : il y a tant à faire – et bien faire – avec ce son qui perce l’âme et met les émotions à vif. Surtout qu’en ce moment, une dose d’évasion positive ou cathartique est la bienvenue. Private Space, né en pleine pandémie, convoque donc à un lâcher-prise.
Donner aux gens l’envie de sortir, de danser, de s’aimer, de s’embrasser… Tel est l’objectif de Durand Jones avec cette troisième production qui, dès la pochette, ne trahit pas les louables intentions : le collectif pose en effet sur un fond rouge suave, entouré du flash des stroboscopes. Sur le clip du flamboyant Witchoo, titre sorti avant les autres, le groupe fait même tinter les verres dans une ambiance «seventies», avec l’imparable boule à facettes qui tourne, encore et encore. Attention, il n’abandonne en rien la formule «soul», qu’il maîtrise sur le bout des doigts, mais lui donne ici plus de panache, de peur qu’un jour elle ne s’essouffle.
Au funk fougueux, à la R’n’B veloutée et aux grooves militants – toujours influencés par la Motown, Stax Records et Marvin Gaye (période What’s Going On) –, le quintette de l’Indiana ajoute une carte dans sa manche : un disco pur jus, qui dénoue les jambes et allège la tête. Et toute la panoplie de circonstance est déployée : chœurs haut perchés, violons sucrés et basse langoureuse, parfois garnis de synthétiseurs bouillonnants. Bien sûr, Durand Jones sait aussi calmer les ardeurs dansantes pour d’autres qui se pratiquent à l’horizontale. Ses slows moites et sa pop sexy, en tout cas, invitent aux caresses et aux bisous dans le cou.
Si la palette se veut changeante, la formation préserve les fondamentaux : un jeu tout en maîtrise, une instrumentation somptueuse (jusqu’à 19 musiciens apparaissent sur certaines chansons !) et des harmonies vocales envoûtantes. Dans ce domaine, le crooner peut s’appuyer sur son batteur à la voix de falsetto, Aaron Frazer, pour lui donner la pareille – ce dernier a sorti son premier album solo début janvier (Introducing…). Autant d’estimables attributs qui n’oublient pas l’essentiel : ce n’est pas tant le son qui compte, mais bien l’honnêteté, la conviction, que l’on y met dedans. À ce jeu, Durand Jones & The Indications ne font pas d’infidélité. Eux n’attendent pas la fin de la pandémie pour délivrer, à tous, un amour sincère, une bonne vibration et de l’espoir. Il y en a tant à donner.
Grégory Cimatti