Cette semaine, on prête une oreille attentive à TYRON, de Slowthai.
De Slowthai, on connaît surtout ce qui lui vaut le surnom de «Brexit Bandit» : un provocateur au crâne rasé sous lequel s’agitent deux yeux fous. Un sale gosse des Midlands qui aime mettre du sucre sur la dent cariée, dans une grimace inquiétante qu’il porte si bien. Si son flow, piquant, critique et blasé, s’enracine dans le rap façon «grime», il partage les mêmes envies de sédition que la scène punk d’outre-Manche, aux préoccupations toutes trouvées : le gouvernement, la reine, la montée du populisme, la police…
D’où ses «performances» régulières devant la caméra, comme lors du Mercury Prize 2019, où, remonté comme un coucou, il arrivait sur scène avec la tête coupée de Boris Johnson tenue à bout de bras. Idéal, donc, pour chauffer l’ambiance et permettre au groupe IDLES d’apporter sa contribution à la colère ambiante, mais aussi pour se forger une réputation. Rassurons-nous, celle-là ne tient pas qu’à ses frasques, mais également à un premier album qui pourrait se résumer à son seul nom : Nothing Great about Britain.
Dessus, il y raconte l’ennui des banlieues oubliées, et sa jeunesse qui boit, fume, crache, en espérant des lendemains moins gris. Vivre et brailler, quitte à y laisser des plumes. Slowthai perdra d’ailleurs un peu de son panache lors d’une autre remise de prix, celle des NME Awards, entre humour douteux vis-à-vis de la présentatrice et altercation avec un spectateur. Bad buzz et gueule de bois qui l’amèneront à s’excuser dès le lendemain. Un an jour pour jour après cette triste soirée, il sort, comme un symbole, un second disque qui porte en lui cette ambivalence : d’un côté, l’agressivité, de l’autre, le sens de la remise en question. Sans le cacher, TYRON affirme cette tendance au clair-obscur. Et la palette en est forcément plus riche.
TYRON rappelle qu’un autoportrait doit être toujours nuancé
C’est que le garçon, charismatique et gouailleur, s’est fait quelques amis de poids (Tyler, The Creator, Brockhampton) et s’est même illustré avec un autre (Gorillaz), de quoi élargir ses goûts musicaux. Sans oublier la crise sanitaire et les confinements successifs, qui calment certaines ardeurs. Entre colère et introspection, Slowthai aurait pu choisir la zone neutre, l’entre-deux, mais il préfère la médaille et son revers. Divisé en deux, et étalé sur quatorze pistes (numérotées chacune de 1 à 7), TYRON ne ment pas sur ses intentions : être un objet à double tranchant.
Sur la première partie, c’est la grogne qui domine. Un cri qui tient jusque dans les titres, tous en lettres capitales. Du classique, sur lequel on retrouve Skepta et A$ap Rocky. Sur la seconde, l’ambiance est intériorisée, bien plus posée. Là aussi, les invités se font remarquer, comme Denzel Curry et, plus étonnant, James Blake. Enfin, pas tant que ça, car ici, on entre dans la sphère du privé : déprime et désillusion amoureuse racontent son âme en peine, dans un style qui ralentit la cadence. Entre les deux, le morceau, plutôt cool, PLAY WITH FIRE, sert de liant. Comme son nom le laisse supposer, TYRON tient du journal intime (Tyron est le vrai prénom du rappeur) et rappelle qu’un autoportrait doit être toujours nuancé : car à l’ombre des projecteurs, le visage n’est jamais le même.
Grégory Cimatti