D’emblée, la pochette interpelle. Avec cet imposant bloc de roche volcanique qui prend toute la place, on croirait là un album de post-rock, à l’imagerie toujours ancrée dans la terre et le minéral pour mieux partir vers le stratosphérique.
Des méditations aériennes, naturelles même, il en est bien question, mais elles viennent de Damon Albarn, à l’esprit vif et pertinent depuis trente ans. Intarissable, sa créativité a fait de nombreux remous, a pris de multiples formes et couleurs, a revêtu plusieurs identités (Blur, Gorillaz, The Good, the Bad and the Queen, Africa Express…).
En solo, par contre, le musicien anglais est resté jusqu’alors plutôt discret, préférant se cacher derrière un groupe fanfaron ou un collectif technologique branché avatars animés. Il y a eu quand même le modeste Everyday Robots (2014), lâché sans effet d’annonce. Un disque juste à lui, pour une échappée belle pourtant remarquable. À la fois minimale et pleine d’idées, ce qui n’a rien de paradoxal! D’ailleurs, Damon Albarn reprend sensiblement la même recette pour ce second effort en solo, intitulé The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows (qui pourrait se traduire par «Plus proche est la source, plus pur est le flot qui s’écoule»).
Un titre onirique à rallonge emprunté à John Clare, un poète romantique du XIXe siècle. Car oui, il est bien question de romantisme, ici surtout abordé dans le rapport à la nature, louant la beauté des éléments comme leur soudaine férocité (surtout quand on n’en prend pas soin). Un élan contemplatif qui s’est matérialisé du côté de l’Islande, où Damon Albarn séjourne une bonne partie de l’année depuis 1996. À l’époque, il s’était réfugié sur ce morceau de terre perdu pour échapper à la notoriété vampirisante de Blur et son statut de pop star. Aujourd’hui, il y retrouve le même souffle réconfortant et des paysages infinis en regardant simplement par la fenêtre.
C’est avec des amis qu’il a mis en boîte, sur place, une première version purement instrumentale. Mais ce qui devait être au départ une œuvre orchestrale planante s’est transformé peu à peu avec la pandémie : Damon Albarn, en artisan pop qu’il est, a donc donné vie (depuis son studio londonien) à ces chansons tranquilles, orchestrées sagement autour d’un piano, de cordes, d’un synthétiseur vintage ou encore d’un saxophone désarticulé… Mais, loyal, il est resté fidèle aux sensations d’origine, comme le prouvent les premières mesures du disque avec ces bruitages électroniques qui s’associent au vent et au gargouillis d’un torrent.
Un spleen façon écologique qui cherche à donner de l’espoir à un futur qui en manque cruellement
Les dix autres morceaux (dont trois instrumentaux) gardent l’esprit et la cadence «down tempo» (comme sur Everyday Robots). Avec sa voix un brin mélancolique et son élégance de compositeur-producteur, Damon Albarn tisse ici un cocon de sons feutrés et atmosphériques, assez loin finalement des habituelles propositions survitaminées qu’il a coutume de servir à plusieurs. Un spleen façon écologique qui, outre le fait de passer un message sincère à fleur de rivière et de pierres, cherche à donner de l’espoir à un futur qui en manque cruellement. Regarder le monde en face et en attendre des merveilles. Non, rien n’est impossible. Comme proposer un peu de chaleur depuis le froid pays de Björk et de Sigur Rós.
Grégory Cimatti
Damon Albarn
The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows
Sorti le 12 novembre
Label Transgressive
Genre pop