Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Retrouvez la critique de l’album de la semaine : André 3000 et ses nouveaux titres.
Le hip-hop a fêté ses 50 ans d’existence en septembre, mais André 3000, de deux ans le cadet du genre musical qu’il a révolutionné au carrefour des années 1990-2000 avec OutKast, ne se sent plus dans le «game» depuis longtemps. L’année 2014, durant laquelle il a retrouvé son comparse Big Boi pour une tournée mondiale, a été un moment d’égarement, analyse-t-il aujourd’hui. «Dré» a beau nous gratifier encore à l’occasion de «featurings» royaux et, forcément, remarqués (avec Kanye West, N.E.R.D., Anderson .Paak, Beyoncé…), il n’est pas du genre à garder des 64 mesures sous la main.
La musique est une affaire d’instinct pour André 3000. D’immédiateté. Pour preuve, ce titre de New Blue Sun : I Swear, I Really Wanted to Make a « Rap » Album but This Is Literally the Way the Wind Blew Me This Time. Une excuse, une plaisanterie, mais, en fin de compte, une affirmation sincère. Pour sublime qu’il aurait pu être, un album rap aurait sonné faux, prévient l’artiste, qui, dix-sept ans après la «fin» d’OutKast, sort un premier album solo porté par les vents.
Depuis qu’il emporte sa flûte partout avec lui, André 3000 est devenu une sorte de mème vivant; dans cette nouvelle zone de confort, il s’amuse du décalage entre ce que l’on attendait de lui et la nouvelle esthétique sonore qu’il dévoile. Ce qui ne l’empêche pas d’être le plus sérieux du monde, dès lors qu’il s’enferme dans la musique.
À bien des égards, New Blue Sun est à rapprocher d’autres aventures novatrices et inspirantes – pour l’artiste comme pour l’auditeur – telles que Stevie Wonder’s Journey Through the Secret Life of Plants (1979), les premiers disques du Japonais Kitaro ou encore les aventures en solo de Haruomi Hosono, ex-tête pensante du groupe expérimental Yellow Magic Orchestra. Ce qui distingue André 3000 de ses illustres aînés dans son entreprise décalée, c’est qu’il a apprivoisé la famille des bois en même temps qu’il a enregistré ce premier album.
André 3000 procède à une quête métaphysique en temps réel
Les liens avec le Japon sont évidents, tant il est facile de cataloguer cette heure et demie de musique hypnotisante sous l’appellation «New Age» (d’ailleurs, on a aussi vu l’artiste jouer récemment les charmeurs de serpent dans les rues de Tokyo). Mais puisque «Dré» n’est pas fait du même bois que la majorité des rappeurs – y compris les rares qui ont osé s’aventurer hors des sentiers battus –, New Blue Sun témoigne du talent qu’a l’artiste à transcender la musique, tout en découvrant simultanément l’instrument qu’il tient en main.
Entouré de monstres du jazz expérimental (le percussionniste Carlos Niño, le guitariste Nate Mercereau, le pianiste Diego Gaeta…), qui déroulent une fabuleuse jungle sonore, André 3000 procède à une quête métaphysique en direct (chacun des huit titres a été improvisé et enregistré en une prise), qu’il invite à rejoindre avec une délicatesse immense. Et une inventivité sans borne, qui s’étend du groove étouffé de That Night in Hawaii… aux «jardins éternels» qui fleurissent en temps réel dans le morceau de bravoure de 17 minutes qui clôt le disque.
New Blue Sun doit beaucoup à Alice Coltrane, pour sa vision expérimentale de la musique, ou à Charles Mingus, à qui il emprunte le goût des titres longs et délirants. Malgré son appétence pour le jazz et les formes singulières, André 3000 reste un rappeur – ce qui lui vaut de prévenir, sur la pochette du disque : «No bars».
Et le rap a depuis longtemps prouvé son amour de la flûte, depuis les samples de Snoop Dogg (Tha Shiznit, 1994) et Jay-Z (Big Pimpin’, 1999) jusqu’aux emblématiques «riffs» entendus chez Future (Mask Off, 2017) ou A$AP Rocky (Praise the Lord, 2018). C’est dans la même optique qu’André 3000 glisse New Blue Sun : celle d’un art contestataire, par un musicien de génie qui s’est isolé de l’industrie musicale. Un acte poétique avant tout, certes. Mais profondément révolutionnaire.
