Retrouvez notre critique de Stardust, le nouvel album de Danny Brown.
Dans le rap, les histoires de drogues font partie de la tradition – au même titre que les clashs entre MC, les succès durement gagnés, l’ego trip ou les références aux marques de luxe. Danny Brown s’est longtemps posé comme référence dans ce domaine, détaillant son train de vie sous influence depuis plus de quinze ans. Paroles choisies au hasard de sa carrière : «Tourné vers ces drogues, maintenant ces drogues retournent ma vie / Et c’est une spirale infernale, ça me rend suicidaire / Trop peur pour le faire, ces pilules seront mon fusil» (XXX), «Tellement d’expériences, c’est un miracle que je sois en vie» (Die Like a Rockstar), «Fumer, boire, boire, fumer / Dans cet ordre, au ralenti / Jusqu’à la fin, sans s’arrêter» (Smokin’ and Drinkin’). Aujourd’hui, le rappeur de Detroit au «flow» nasillard, apôtre d’un rap abstrait et drôlement foutraque, est complètement sobre : il l’avait déjà mentionné dans Quaranta (2023), album rythmé par une énergie rock, mais hanté par la nostalgie, mais c’est bien avec Stardust, son premier album créé sans l’aide de l’alcool et des psychotropes, qu’il démarre un nouveau chapitre.
Un maître du chaos musical
«J’ai vu énormément d’artistes devenir sobres, et leur musique est nulle», déclarait Danny Brown en 2023 dans les colonnes du Guardian, espérant sans doute tromper la malédiction. Même sans alcool et drogues, il reste un maître du chaos musical – à vrai dire, c’est le chaos qui l’a aidé dans sa cure de désintox, qu’il a passée en écoutant en boucle la pop excessive de 100 Gecs. Logique, donc, que ce Stardust se déroule sous le signe des beats déconstruits, noyés sous des tsunamis de glitches et des nappes métalliques.
Danny Brown avait déjà exploré la face maximaliste de l’electro en 2013, avec l’album Old; maintenant que celle-ci a largement contaminé les ondes, le rappeur, capable de poser ses couplets grinçants sur n’importe quel type de son, prend l’hyperpop pour terrain d’expérimentation. Il faudra moins se fier aux accords de guitare intimistes de l’ouverture, Book of Daniel, qu’à ses paroles autoréflexives, directes et honnêtes, que l’on retrouvera tout au long du projet.
Un projet imparfait, mais qui deviendra culte
Entouré d’un «roster» d’artistes aussi surprenant qu’inconnu, queer ou trans, pas encore trentenaires et représentant la nouvelle garde de l’hyperpop et de l’electro 3.0, le vétéran du rap expérimental cherche moins à creuser les limites de son style – comme il avait pu le faire avec JPEGMafia sur leur mixtape commune Scaring the Hoes (2023) – que de créer un objet libre, plus largement accessible que nombre de ses autres opus, mais pas moins fou. Le plaisir retrouvé de Danny Brown pour la création s’entend d’ailleurs à chaque seconde, après avoir témoigné, sur Quaranta, à quel point le rap l’avait esquinté. En plus de saluer les talents de Holly, Underscores, Femtanyl ou Frost Children, producteurs et musiciens qui ont largement contribué aux couleurs de l’album, il faut aussi les remercier.
Cacophonie minimaliste
Ici, les morceaux de bravoure ne se calculent pas aux changements de beats ni au nombre d’ingrédients contenus dans ses mélanges de sonorités dissonantes : la drum’n’bass de 1l0v3myl1f3! n’a rien d’extraterrestre, les hurlements façon «screamo» sur 1999 sont bien à leur place, et la cacophonie minimaliste de Starburst forme le parfait décor aux punchlines les plus percutantes de l’album. Même les rapides instrus qui se succèdent sur neuf minutes dans l’excellent The End, avec ce refrain en ukrainien qui surfe par-dessus comme dans un générique de manga, semblent plus familières à l’univers de Danny Brown que les refrains entêtants et l’architecture pop de Lift You Up (un morceau d’anthologie, basé sur le groove rond d’un rythme house).
Idem pour les tout aussi dansants Flowers, Baby, Copycats, Whatever the Case… Si les morceaux gonflés aux consoles amphétaminées maintiennent le «high», ce sont finalement les moments les plus «mainstream» qui forment la vraie surprise, et sont garants de l’épaisseur d’un projet imparfait, mais qui deviendra culte. C’est ça, le chemin de la guérison?
Danny Brown, Stardust. Sorti le 7 novembre. Label Warp. Genre rap / electro