Cette semaine : If Words Were Flowers, de Curtis Harding. Sorti le 5 novembre sur le label Anti-.
En mai dernier, après une longue période de discrétion de trois ans, Curtis Harding revenait au premier plan avec un morceau, Hopeful, qui synthétise bien les envies et obsessions de ce «soulman» du XXIe siècle : un équilibre sensible entre passé et présent, un optimisme pas si béat que ça et une propension à embraser différents styles musicaux. Ainsi, sur le superbe clip en noir et blanc de Lynsey Weatherspoon, on le voit débarquer au volant d’une Chevrolet, lunettes imposantes et fringues cintrées, comme débarqué d’une faille spatiotemporelle.
Mais si le style est «vintage», les préoccupations sont modernes, puisque la chanson plonge au cœur du mouvement Black Lives Matter, filmé ici dans le West End d’Atlanta, sa ville. Voilà en effet sa mission, qu’il porte depuis plusieurs années – déjà manifeste à travers deux albums, Soul Power (2014) et Face Your Fear (2018) – : apporter de l’espoir, de la joie et de la paix dans les ténèbres, tendre vers la lumière avec une musique «old school» qui n’a pas peur d’en faire trop, comme ici, avec ces chœurs gospel et ces riffs mordants de guitare.
Tout est donc là, dans ce concentré d’amour et d’électricité, puissant abrégé des dix autres chansons sans épine que l’on trouve sur le bien nommé If Words Were Flowers. Un titre comme un aveu : celui d’un positivisme à tous crins, d’une empathie à fleur de peau symbolisée par sa mère, chanteuse de gospel qu’il a longtemps suivie d’église en église : «Offre-moi des fleurs tant que je suis là!», lui disait-elle alors qu’il était enfant. Curtis Harding en recompose alors le bouquet, qu’il distribue comme autant de promesses d’un avenir meilleur.
Je veux que cette musique aide les gens à comprendre qu’ils ne sont pas seuls
Héritier d’un autre Curtis (Mayfield), mais aussi d’Isaac Hayes et d’Aretha Franklin, pour ne citer qu’eux, ce crooner amoureux aux bonnes intentions évite toutefois les références trop faciles ou pire, la bête parodie. Pour ce faire, il dispose de deux atouts maîtres : d’abord la présence, à ses côtés, du fidèle Sam Cohen (Kevin Morby, Benjamin Booker), producteur habile qui sait brouiller les pistes. Ensuite les influences multiples auxquelles il s’est frotté depuis son enfance : le gospel familial, donc, mais aussi le hip-hop, très enraciné à Atlanta, le R’n’B cuivré, le jazz ou encore le rock psychédélique.
Mis bout à bout, appuyés par des chœurs extatiques et des arrangements exubérants, les titres de If Words Were Flowers se rapprochent évidemment d’une soul «rétro» pur jus. Mais en osant sortir des sentiers battus, celle-ci prend des airs intemporels, comme en témoignent So Low et Forever More, deux morceaux qui apportent un peu d’étrangeté à l’ensemble.
Tout au long du disque, l’ancien choriste de CeeLo Green ne fait pas semblant, avec un chant qui distille toute une gamme d’émotions : douleur, plaisir, nostalgie, tendresse, tristesse… Il chante, mugit, crie, séduit et prêche aussi bien qu’il rappe.
Oui, c’est un fait, pour Curtis Harding, la musique est un sacerdoce, comme si son destin était de donner du courage à ses pairs, de la force aux opprimés. Une nécessité qui s’affranchit du temps. Il n’est donc pas le fruit d’une époque, mais bien de plusieurs, qui racontent les mêmes problèmes, les mêmes impasses, les mêmes douleurs.
«Je veux que cette musique aide les gens à comprendre qu’ils ne sont pas seuls», explique-t-il. Il en est convaincu : tant qu’il sera dans les parages, il aura toujours de l’amour à donner.
Grégory Cimatti