Le label Dark Entries exhume dix chansons de Corps diplomatique datant de 1984 à 1987.
D’emblée, quand on évoque la ville de Marseille, plusieurs images arrivent en tête : la Bonne Mère, le Vélodrome, le port ou encore les vieux quartiers. Mais également une atmosphère propre aux cités méridionales, avec cet accent aux inflexions chantantes et surtout ce soleil généreux, tapant aussi fort que souffle le mistral. Difficile alors de la voir aussi comme l’un des bastions d’une musique évoquant des climats glaçants et désolés, désespérante, voire carrément malaisante. C’était pourtant le cas durant toute une décennie, celle des années 1980. Comme le proposait déjà le rappeur Akhenaton de IAM dans leur tube Je Danse le Mia, voici donc «un voyage dans le temps, via planète Marseille».
Il y a plus de quarante ans, la France, en dehors de la chanson dite de «variété», indéboulonnable à domicile, fait comme beaucoup d’autres : copier, ou plutôt hériter du modèle anglo-saxon. Alors que le hip-hop n’est qu’à son bourgeonnement et que le punk n’a plus la même rage, le libéralisme enterre les précédents concepts. Arrive alors la new-wave qui, outre-Manche, à l’image de la Nouvelle Vague du cinéma trente ans plus tôt, impose un état d’esprit moderne et grinçant, opposé à l’optimiste béat de la musique post-hippie.
Il ne s’agit donc plus de rire ou de faire la fête, et les influences du Velvet Underground, de la trilogie berlinoise de David Bowie et du rock entêtant de Can marquent la naissance d’un autre versant de ce courant, aux ambiances cafardeuses, symbolisé par deux pionniers : Siouxsie and the Banshees et Magazine.
Un mélange de désespoir et d’extase
Tout va se compliquer quand il s’agira de définir ces élans pluriels : «post-punk», «synth-pop», «techno-pop»… Chacun y va de sa catégorisation. En France, mais également en Belgique et en Suisse, on va simplifier la chose en utilisant un terme générique et unique : celui de «cold wave» qui, comme le «rock gothique» qui s’est matérialisé à Londres, dévoile lui aussi une appétence pour le synthétiseur façon minimaliste, la boîte à rythmes qui claque et le chant aux intonations maussades et détachées. Revenons alors à Marseille, avec l’un des obscurs représentants de cette «vague de froid», le groupe Martin Dupont. Microcosme oblige, il va prendre sous son aile un autre camarade (en lui prêtant notamment ses instruments), lui aussi du coin : Corps Diplomatique qui, dernièrement et en l’espace de trois petits mois, est totalement sorti de l’ombre.
Alors que l’on ne connaissait de lui qu’un clip (Cnossos) – façon Isabelle a les yeux bleus des Inconnus –, un single de 1988 sorti en 45 tours (Paradis I) et trois titres présents sur la compilation La Muse Vénale, le Saint Graal pour les adeptes de «coldwave», voilà que le quartette emmené par la chanteuse Marie-Eve Bensussan, longtemps entouré de mystère, apparaît au grand jour. D’abord en fin d’année dernière grâce à un généreux double CD de 25 inédits dont 3 enregistrements live (claire obscure).
Ensuite avec Dans Ta Nuit, collection de morceaux courant sur la période 1984-1987, exhumés par Dark Entries, label de San Francisco. Sur la pochette du vinyle, des photos de la formation prises lors d’un concert à la maison en 1985. Dedans, quelques notes, dont une précision de ce qu’est la «cold wave» : un mélange de désespoir et d’extase.
Réjouissant et efficace
À l’instar d’une valise diplomatique ouverte, l’album révèle tous ses secrets, en l’occurrence dix titres qui courent sur presque 50 minutes, prenant leur temps après toutes ces années enfermées. On y trouve des instrumentaux (dont la suite de Paradise I), des clins d’œil à William Blake et à Charles Baudelaire (Les Métamorphoses du Vampire) et deux chansons chantées en français.
D’un point de vue rythmique, c’est réjouissant. D’un point de vue artistique, c’est également efficace, même quand Corps Diplomatique adopte les sonorités orientales à la The Cure, ou quand l’un des musiciens, alors au micro, cherche à ressembler à Robert Smith. Entraînante par sa tension dramatique, sans jamais être trop rugueuse, la démonstration, glacée à souhait, glisse sans entrave. Normal, c’est de saison!
Corps Diplomatique. Dans Ta Nuit. Sorti le 7 février. Label Dark Entries Records. Genre cold wave