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[Album de la semaine] Common et Pete Rock : laissez faire les anciens


Retrouvez la critique de l’album de la semaine.

Jusqu’à ce quinzième album, dont il partage les crédits avec le producteur Pete Rock, on a toujours écouté un disque «de» Common. Pourtant, ce n’est pas un secret, le vétéran du rap conscient a pour habitude de prêter à chacun de ses projets la saveur et la sensibilité d’un seul architecte sonore. À la «prod’», Kanye West (Be, 2005; Finding Forever, 2007), No I.D. (producteur de ses trois premiers albums, entre 1992 et 1997, puis de The Dreamer / The Believer, 2011) ou encore dernièrement Karriem Riggins sont aussi indissociables de Common que les Soulquarians, ancien supercollectif du rappeur (avec Questlove, J Dilla, Mos Def, Talib Kweli, D’Angelo, Raphael Saadiq…) formé à la grande époque de Like Water for Chocolate (2000), avant d’œuvrer derrière le visionnaire Electric Circus (2002), pièce maîtresse de la discographie de Common injustement boudée à sa sortie.

Il faut croire que, outre une mode qui réussit bien aux albums collaboratifs de vieux briscards du rap (Hit Boy et Nas, Danger Mouse et Black Thought, The Alchemist et n’importe quel rappeur), l’alchimie entre le représentant du «Chi» et le producteur du Bronx a quelque chose de spécial. Il est aussi vrai que Pete Rock, l’un des «sound masters» les plus prolifiques depuis la fin des années 1980, semblait être parti récemment en préretraite. Mais à 54 ans, le chevalier du sample, qui a contribué à créer le son «East Coast», manie les platines comme en 1996 – année de la «diss track» culte de Common The Bitch in Yoo. À preuve, la virtuosité du jeu de scratch sur Now and Then, qui clôture The Auditorium, Vol. 1. Dans cette prière rap de toute beauté, les mots de Common ricochent sur la ligne de basse. Il lance : «Mon nom est Common, bien que mon histoire soit différente». L’une des nombreuses déclarations que le rappeur assène sur l’album pour se définir – avec, entre autres, le «James Baldwin du rap».

La paire n’est pas loin de proclamer : « Old school is the new school »

Sans doute grisés par le plaisir de leurs retrouvailles, sûrement conscients qu’ils n’ont plus rien à prouver, Common et Pete Rock font une offrande ultrachaleureuse et empreinte de spiritualité, plus que de nostalgie. On ne se lasse jamais de la cuisine du chef – du «boom-bap» à l’ancienne, construit autour d’un sample –, surtout quand c’est dans la bouche du rappeur qu’elle prend toute sa saveur. De cette manière, il faut aussi voir The Auditorium, Vol. 1 comme une réflexion sur les trajectoires croisées des deux artistes. En ouverture (Dreamin’), les vers du rappeur, poète et militant rendent hommage aux leaders Afro-Américains et aux figures du rap qui l’ont inspiré, de près ou de loin, dans sa volonté de porter la musique comme un instrument politique : les regrettés Dilla, Biggie et Prodigy, mais aussi Prince, Mos Def, Maya Angelou… Pete Rock, qui a fréquenté nombre de ces mêmes personnalités, et qui contribue encore à perpétuer leur message, est lui salué à la fin du morceau.

En retour, chaque partie instrumentale des quinze titres de l’album, indépendamment du fait qu’elles baignent dans un climat soul propice à l’introspection, touche le rappeur droit au cœur. Dans les samples, on reconnaît Roy Ayers (l’ensoleillé When the Sun Shines Again), Curtis Mayfield (We’re On Our Way), Aretha Franklin (Dreamin’), tous au «hall of fame» personnel de Common, qui a maintes fois posé ses mots sur des échantillons de leur musique. Mais aussi son vieux copain de Chicago Kanye West, dont le chant de ralliement du «South Side» (sur All Falls Down, en 2004) s’entend sur Chi-Town Do It, nouvel hymne scintillant de l’artiste à sa ville. Rien ne manque jamais, tout est taillé sur mesure, de la célébration de la communauté noire américaine aux témoignages tout droit tirés de la rue, en passant par l’amour (le gospel A God, que Common chante avec sa partenaire, Jennifer Hudson), les réflexions sur le passage du temps (All Kind of Ideas) ou la beauté du monde (Everything’s So Grand). Il s’en faut de peu pour que la paire proclame : «Old school is the new school». Ce qui les retient tient dans un autre message : laissons à nos aînés la tâche de nous inspirer.

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