Cette semaine, l’album choisi par Le Quotidien : « IRÉ » de Combo Chimbita, sorti le 28 janvier, sur label Anti-.
À l’écoute de Combo Chimbita, sans attendre, l’ambiance est posée. Mystérieuse, mystique même. Une étrange atmosphère assise par la voix puissante et joueuse de Carolina Oliveros ainsi qu’un usage tous azimuts de réverbération. Pour définir la musique de ce quatuor, du coup, un mot revient sans cesse : psychédélisme. Et pour cause : la guitare se nimbe ici d’échos et le synthétiseur s’étend à l’infini, sans oublier, toujours, le vibrato perçant de la chanteuse, souvent entouré d’effets. Au milieu des harmonies fantomatiques, la cumbia, genre né au XVIIe siècle en Colombie, est alors passée à la moulinette et fait un sacré bond dans le temps.
Bien sûr, à l’instar du tropicalisme au Brésil, la cumbia a aussi été influencée, en son temps, par les États-Unis, réinventant à la fin des années 60 la tradition dans un grand brassage haut perché (comme l’affiche l’excellente compilation sortie l’année dernière sur Manzanita, ambassadeur du genre au Pérou). Mais de là à dire que Combo Chimbita célèbre ses racines et l’Amérique latine période psyché, ce serait précipité et surtout réducteur. Non, son style vient de sa base, la ville de New-York où, musicalement, c’est connu, tout est permis !
Ainsi, IRÉ, comme ses prédécesseurs – Abya Yala (2017) et Ahomale (2019) – brasse large : rock tropical, sons caribéens, dub, reggae, hip-hop et électronique, sans oublier le jazz pour ce qui est de la structure libre des chansons. Sur ce dernier album, un exemple est particulièrement frappant : le titre Babalawo qui, sans prévenir, se transforme en une sorte de batucada à tendance expérimentale. Les contraintes, très peu pour eux !
C’est un album positif avec beaucoup d’espoir !
Dans la forme, IRÉ, que Combo Chimbita a voulu plus léger et plus joyeux que les autres – «c’est un album positif avec beaucoup d’espoir», soutient le groupe d’une même voix –, enchaîne douze morceaux imparables qui alternent les humeurs. Certains débordent d’énergie, de vitalité, symbolisée toujours par Carolina Oliveros aux soubresauts contagieux et appuyée par une batterie virevoltante. D’autres (majoritaires) calment le jeu, ralentissent la cadence et offrent un souffle bienvenu pour mieux repartir. Ici, ce qui crée l’homogénéité, c’est encore ce côté spectral du son et ce besoin quasi instinctif d’expérimenter, sans limites et sans retenue.
Dans le fond, la tension qui se manifeste tout au long du disque, dans ses moments calmes comme agités, reflète bien le moment dans lequel il a été composé. Son écriture a en effet commencé en pleine crise sanitaire et au milieu des manifestations Black Lives Matter, pour se finir à Porto Rico où le quatuor, bien qu’enfermé dans une maison, a été témoin des complexités étouffantes de l’attache impérialiste de l’île aux États-Unis. Même en Colombie, pour le tournage de deux de ses clips, Combo Chimbita a posé un temps la caméra pour soutenir le plus grand soulèvement populaire du pays, en proie à l’oppression, à la corruption et à la violence.
Toujours préoccupé par l’actualité et voulant faire écho aux luttes sociales, le groupe a enfin donné un coup de projecteur, dans ses paroles comme dans ses vidéos, à la communauté trans et queer. Avec du recul, IRÉ raconte tout ça : la colère d’une époque qui se mélange à de l’agitation, de l’amour, de l’optimisme aussi, avec une touche spirituelle. «Toute cette fureur, j’ai eu besoin de la ressortir et de tout transformer», témoigne ainsi dans la presse américaine Carolina Oliveros. Le dernier disque de sa bande, lumineux, en est une belle illustration. Vivante de part en part.