Retrouvez la critique de l’album de la semaine.
D’emblée, un avertissement : avec Chat Pile, il faut faire attention aux faux-semblants. Il y a déjà ce nom qui, en français, sonne à l’oreille de façon mignonne et ludique (comme une sorte de jeu de cour d’école, mélange entre chat perché et pile ou face). Mais il n’en est rien : le groupe s’appelle ainsi en raison des monticules de détritus toxiques qui dominent sa ville minière d’Oklahoma City.
Il y a ensuite ses pochettes. Sur le précédent album, God’s Country (2022), le crucifix se multiplie et s’incarne, à l’image, en une station électrique abandonnée. Sur le nouveau, une croix, bien identifiable celle-ci, domine encore un paysage froid et blafard. Au-dessus, un titre comme une blague, à moins que «cool» ne soit synonyme de «cruel» et de «glacial». C’est dit : les voies du seigneur sont déprimantes.
Non, Chat Pile n’est pas du genre à dessiner des arcs-en-ciel là où il n’y en a plus. Dans une Amérique – et par extension un monde – qui ne tourne pas rond, le quatuor sort la loupe et les crocs pour raconter le malaise ambiant. Une fibre humaniste qui ne s’entendait pas avec autant de virulence dans ses premières productions, plus confidentielles. C’est God’s Country, gros succès critique, qui va finalement faire caisse de résonance, notamment en raison de textes composés à hauteur de trottoir où il est question, pêle-mêle, de dépendance aux opioïdes, de cris du bétail abattu et de survivants de tueries de masse. Un sacré menu qui s’apprécie comme un registre de vies déprimées et une vue panoramique de la souffrance humaine, appuyés par une musique puissante. Au bout, une BO, non plus du rêve, mais du cauchemar américain.
Si l’existence moderne est vaine et désespérée, Chat Pile s’en veut le porte-voix
Que pouvait-il apporter de plus (ou de différent) sur ce second LP? De la distance et de la hauteur, précise le chanteur Raygun Busch sur Bandcamp. Comprendre qu’après l’étude sociologique de proximité, le groupe, dans un généreux zoom arrière, déplace la portée de sa description du malaise moderne du «pays de Dieu» à l’humanité tout entière. Il y a de quoi dire. Dans son champ visuel, toutefois, la violence d’un monde devenue routinière, que l’on parle des horreurs du capitalisme ou de l’héritage du colonialisme. À ce propos, le frontman, pour dépeindre Cool World, n’hésite pas à emprunter les mots de Voltaire, ceux de Candide (1759), à travers lesquels l’Eldorado n’est qu’un mensonge et son fonctionnement basé sur des méthodes barbares. Si l’existence moderne est vaine et désespérée, Chat Pile s’en veut le porte-voix.
Évidemment, pour que le message passe, il faut une musique qui soit à la hauteur. Et là aussi, le quatuor a élargi son approche. C’est le magazine Metal Hammer qui a trouvé une définition appropriée : «C’est comme écouter Steve Albini produire le premier album de Korn». C’est bien vu, mais ce n’est pas tout à fait vrai : à la place du feu producteur de Nirvana, de Pixies et de PJ Harvey, on trouve Ben Greenberg (celui de Metz et de Lysistrata, notamment), embauché au mix pour renforcer l’impact final du disque. À l’écoute des lourdes guitares et de la batterie caverneuse, qui scotchent littéralement au sol, on se dit que le pari est réussi. Mieux : dans une volonté de «repousser les limites» stylistiques, dixit Raygun Busch, Chat Pile ne se refuse rien et vise large : noise, rock «alternatif» et industriel, post-punk, metal et new wave s’entremêlent efficacement sur dix titres au tempo changeant.
Sur cet ensemble, le chanteur montre au passage toute sa palette, passant des hurlements aux vocalises traînantes, des cris aux gémissements, collant ainsi parfaitement à l’ambiance écrasante, boueuse même, du disque. Certains y verront un excès de pessimisme, de sinistrose, alors que Cool World, comme il est indiqué sur Bandcamp, n’est que «le portrait d’un groupe de rock américain façonné par une société aux systèmes de pouvoir froids et cruels». Rien de tel, donc, qu’un son violent et un esprit cynique pour s’en défaire et mieux respirer. Chacun y trouvera son compte : pour fêter Halloween qui approche ou accompagner l’élection présidentielle aux États-Unis. Ça marche dans les deux cas.