Cette semaine, écoute de l’album de Charlotte Day Wilson Alpha, sorti sur le label Stone Woman le 9 juillet.
En peu de temps, Charlotte Day Wilson a suivi une belle route. Ses débuts dans la musique remontent à une dizaine d’années, avec un premier EP publié en 2012, suivi par deux autres en 2016 et 2018. Dans des singles comme Work ou Doubt, elle a posé les bases de sa musique : un langage revendiquant des tonnes d’influences, mais calme et aussi minimaliste que possible, comme écrin à des textes marqués par une forte amertume, néanmoins taillés avec style et dans lesquels infuse un certain degré d’ironie. Le tout en éclairant de moins en moins timidement son univers à la lumière «queer» et avec une production farouchement indépendante, la Canadienne s’est toujours posée aux marges de l’industrie musicale.
Mais au XXIe siècle, on le sait, «indie is the new mainstream», et Charlotte Day Wilson ne tarde pas à rencontrer d’autres étoiles montantes de la musique dans son pays, dont le groupe de jazz BadBadNotGood et le chanteur de R’nB Daniel Caesar, qui ont tous deux des liens ténus avec le monde du hip-hop américain. Vous comprenez la suite ? Depuis sa trilogie d’EP, on a notamment retrouvé la chanteuse à la voix d’or à l’étranger, sur des collaborations avec Kaytranada, Loyle Carner ou encore James Blake.
Plus haut de gamme
C’est qu’entre Charlotte Day Wilson et la question du genre, il existe une relation qui va au-delà de sa sexualité, une envie de s’amuser à des mélanges, opportunités offertes avant tout par d’autres artistes. L’expérience engrangée depuis dix ans et l’assurance qui s’est progressivement accrue en elle sont deux éléments qui l’ont portée à vouloir s’affirmer sur un premier album, Alpha, au titre aussi vaporeux que sarcastique. Mais pas les éléments fondamentaux. D’après Wilson elle-même, sa musique résulte d’un besoin viscéral d’écrire, une forme de thérapie qui l’aiderait à surmonter ses difficultés personnelles et son état d’esprit du moment. Dans Strangers, qui ouvre l’album, elle s’adresse à une autre femme dont elle est tombée amoureuse en raison des signaux envoyés par cette dernière, pourtant en couple avec un homme. Le ton est donné : il sera question d’amour, le sentiment le plus absolu, mais aussi celui aux interprétations infinies.
L’univers de la musicienne n’a pas connu de changements radicaux depuis ses derniers travaux en solo, mais il est devenu plus «haut de gamme», plus fourni. Les nappes sonores fabriquées à partir du dédoublement de sa voix s’intègrent merveilleusement aux parties instrumentales – par elle-même composées – et Charlotte Day Wilson n’hésite pas à s’aventurer au gré des thèmes dans des genres aux influences diverses.
C’est bien la soul et le R’nB qui caractérisent la musique de l’artiste, et Alpha ne déroge pas à la règle. Mais puisque l’artiste s’est ici s’émancipée d’une certaine réserve qui, jusqu’à présent, l’avait amenée à chanter l’amour lesbien seulement par indices, elle entreprend dans le même geste d’aller visiter d’autres langages, d’autres formes de s’exprimer. Toujours dans Strangers, elle introduit des chœurs de gospel; plus tard, dans le magnifique Mountains, elle couple d’autres touches gospel (des claquements de mains) à une instrumentation neo soul qui s’étoffe au fur et à mesure (trompette, piano, sons de pluie…) pour prendre la forme d’un chant désespéré de femme abandonnée. Dans Lovesick Utopia et Adam Complex, elle louche du côté de la folk tendre, et Keep Moving voit la musicienne tenter l’expérience pop-rock indé aux accents rétro.
Alpha est un album enveloppé d’une atmosphère mélancolique, mais Charlotte Day Wilson ne manque pas de faire poindre une certaine touche d’ironie. Sur Take Care of You, elle invite Syd, leader de The Internet et qui s’est souvent exprimée sur son homosexualité. Le morceau, une ballade langoureuse qui rappelle les Destiny’s Child, raconte l’attirance de deux femmes qui, pour une raison inconnue, ne peuvent tomber amoureuses; dans un twist final, la chanson se révèle être en fait un plan d’un soir qui appelle à être réitéré. Une autre facette du talent de Charlotte Day Wilson est ici révélée et finit d’imposer ce premier album comme un portrait de l’artiste en «femelle alpha», musical, amoureux et humain.
Valentin Maniglia