Sur la pochette de son premier album, Radio Suicide (2019), Makala posait en sage enturbanné au milieu d’une pampa anonyme.
Après trois mixtapes (La Clef, 2013; Varaignée, 2014; Varaignée Pt. 2, 2015) et un EP (Gun Love Fiction, 2017) qui l’ont vu démarrer déjà très haut et poursuivre avec comme unique constante la perfection durable de son art, l’entrée officielle du rappeur de Genève dans le «game» sur un premier album volcanique, classique instantané, était présentée, à raison, comme un acte salvateur. À l’heure où les yeux étaient sérieusement rivés sur la Belgique, qui venait d’apporter la nouvelle vague du rap francophone, lui donnait déjà à entrevoir le futur depuis un pays que personne n’attendait à voir entrer en jeu.
Après l’allure de messie-ovni qu’il arborait sur les visuels de Radio Suicide, l’artiste change de vêtements et de décor. Le premier album tirait son nom de la volonté du «Mak’» que l’on «se tue sur (sa) musique», métaphoriquement parlant, bien sûr. Avec le deuxième, c’est lui qui plonge la tête la première pour embrasser le chaos. Avec deux intros d’entrée de jeu, selon que l’on préfère profiter du tout confort d’un instrumental éthéré (X6) ou rouler à fond de balle sur la file de gauche de l’autoroute du succès (SLR). Sur la pochette, il arbore donc un nouveau look tout en cuir, quelque part entre le motard romantique et le «scar-la»; en guise d’accessoire, un bouquet de tulipes, la «fleur-turban» qui symbolise l’orgueil. Lui en joue beaucoup, plus que les rappeurs habituels et – surtout – mieux que les rappeurs habituels.
Parce qu’il est unique, il ne joue pas de fausse modestie. Les rappeurs parlent, Makala affirme
Parce qu’il est unique, il ne joue pas de fausse modestie. C’est même tout le contraire : les rappeurs parlent, Makala affirme. Dans Les Barrages, seulement le quatrième des seize titres de l’album et déjà un nouveau tournant dans sa carrière, il revendique sa force («Il faut me sampler, pas tenter de me ressembler») et critique une fois de plus l’arrivisme de rigueur dans le milieu du rap, qui a pour conséquence directe le profit au détriment du génie. Et puisqu’il bouillonne d’idées, il consacre à ce dernier sujet un titre entier (Gurlz Tower) aux accents lascifs empruntés au R’nB et chante avec son habituel humour mordant : «J’ai vraiment mal au cœur quand je vois ce que certaines écoutent / Je te jure ça me brise en mille / Faites quelque chose, les filles / Je pense qu’il est temps d’agir».
Pour peu que l’on connaisse déjà le phénomène, on sait d’avance que sa richesse ne réside pas seulement dans des textes brillants, drôles et parfaitement ciselés, mais aussi dans un éclectisme musical à toute épreuve. Alors que Radio Suicide multipliait les «bangers» et les influences musicales, Chaos Kiss a anticipé les envies de danser et de jouer au gangster avec trois singles (Belly, Al Dente et Boss, trois aspects très différents de son art) pour dévoiler un univers infiniment plus étendu dans l’album, qui se redécouvre à chaque écoute, en grande partie grâce aux productions colorées et richissimes de Varnish La Piscine, collaborateur de toujours et jumeau maléfique du rappeur.
Les femmes, grand sujet prisé par les rappeurs et si rare dans la foisonnante carrière de Makala, ont une place à part. «Celles que j’aime sont des cyclones», confie-t-il dans Al Dente. À l’image de celles qu’il imagine dans Budapest, braqueuses au sang-froid qui, «même avant de mettre une cagoule, se maquillent». Ou celle, réelle, qui l’a enfermé dans une relation malsaine («Tu fouillais dans mon phone juste pour voir si j’étais comme toi») qu’il compare à une geôle (la ballade teintée de bossa nova Prison Break). Leur présence, c’est certain, ont amené Makala à se montrer sous un jour plus sensible que d’habitude (y compris lorsqu’il parle de son père, du jamais vu), pour y puiser, encore une fois, de la force.
Pour le Suisse d’origine congolaise, le style ne s’exprime pas qu’à travers la sape, mais il s’agit dans tous les cas d’une question d’honneur. Chaos Kiss est une nouvelle démonstration de force, sans aucun doute son projet le plus percutant à ce jour, où un tube ovniesque comme ZZ Predator côtoie des références «old school» (Roger That, avec un couplet délirant de Hill.G, du groupe légendaire X-Men) et s’éloigne même ponctuellement du rap (Outrow mélange «spoken word» et jazz)… À toutes fins utiles, rappelons que «makala» en swahili désigne le charbon, surnom parfait pour un type aussi bouillant. Alors quoi, au troisième album, on explose?
Makala « Chaos Kiss »
Sorti le 1er avril
Label Colors Records
Genre rap