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[Album de la semaine] Channel Tres mène la danse


Les morceaux de lui-même qu’il met dans deux titres en particulier, Black & Mild et Here, mettent en lumière une dimension intime et fragile qui dissipent le secret qui entoure l’artiste. (Photo Label RCA)

Six ans après ses débuts, Channel Tres passe enfin l’étape cruciale du premier album après une série d’EP et de singles gravitant autour des genres dits «urbains» sans jamais se conformer à l’une ou l’autre règle.

On connaît Compton pour être le berceau du gangsta rap de la côte Ouest américaine. C’est là que sont nés Dr. Dre, Eazy-E, The Game, YG, Kendrick Lamar et tant d’autres. Ce que l’on sait moins, c’est que la culture rap omniprésente au sud de Los Angeles a quelque peu faussé l’image que l’on se fait du «hood», reléguant dans l’ombre sa culture rave, pourtant tout aussi importante. Heureusement que Sheldon Young, alias Channel Tres, était là pour nous le rappeler, dès 2018 et ses premiers singles, ControllerTopdown ou Jet Black : un début de carrière qui sonnait comme une profession de foi, à laquelle le garçon est resté fidèle. À raison, puisque le nouveau prince de la house music a rapidement éveillé l’intérêt de sommités musicales en tout genre : pop (Robyn, Tove Lo, Gus Dapperton), jazz (Terrace Martin), rap (Tyler, the Creator, JPEGMafia, Kaytranada), electro (Disclosure, Mura Masa, Duke Dumont)…

Ovni hybride

On aura donc attendu six ans après son éclosion pour que Channel Tres passe enfin l’étape cruciale du premier album. Impossible de lui en vouloir : prolifique, l’artiste a gratifié son public d’un EP par an (tous réussis), explorant les différents chemins que pouvaient emprunter ses compositions ardentes et son phrasé monocorde. Channel Tres est cet ovni hybride, qui évolue à cheval entre une soif incontrôlable d’expérimenter la musique et l’exigence suprême de «faire bien».

L’ironie du titre de son premier album, Head Rush («coup de tête»), est évidente. Mieux, elle est naturelle pour celui qui s’est toujours joué des présupposés. Sur la pochette du disque, celui que l’on catégoriserait un peu facilement comme le «clubber» du ghetto pose dans et sur une boîte ouverte; sur le titre éponyme, il assène : «Ne mettez jamais un artiste dans une case / Ils croyaient que je ne savais faire que de la house».

Dans ce premier essai transformé et généreux (17 titres, 50 minutes), Channel Tres fait par exemple mentir la rumeur (qu’il a contribué à propager, volontairement ou non) selon laquelle ses accointances avec le hip-hop seraient limitées à ses collaborations – certes prestigieuses. Mais sa «dualité» revendiquée (il est Gémeaux, et a déjà largement prouvé de quoi il était capable en termes de fusion des genres) renferme quelques secrets et surprises : dans Type, produit et rappé par lui-même, il s’amuse avec les clichés (musicaux) de la trap.

Ne mettez jamais un artiste dans une case / Ils croyaient que je ne savais faire que de la house

Le garçon se réapproprie par ailleurs les thèmes chers au hip-hop tout au long de l’album (la reconnaissance et le succès, le goût du luxe, la vie nocturne…) et réinterprète un imaginaire «gangsta» (les références aux Lakers, aux histoires de sexe crûment racontées, aux grosses «chainz» qui pendent ou à la Chevrolet Impala «six-four» popularisée par Eazy-E) qui, appliqué à cet excentrique introverti, devient un exercice ludique… à prendre plus que jamais au sérieux.

Jusqu’à présent, le travail de Channel Tres consistait en une série d’EP et de singles qui installaient le multi-instrumentiste, compositeur et DJ comme une voix unique, gravitant autour des genres dits «urbains» sans jamais se conformer à l’une ou l’autre règle. Head Rush représentait un nouveau pari, en cela qu’il élargit amplement sa palette, creusant merveilleusement les grooves disco (Cactus Water) ou la tendance – venue du rap – à «switcher» d’instrumental à l’intérieur du même morceau, ou rendant hommage à la techno berlinoise (le bien nommé Berghain) : autant d’éléments qui, mis ensemble, forment un portrait plutôt définitif du Channel Tres que l’on connaissait jusqu’alors.

Les morceaux de lui-même qu’il met dans deux titres en particulier, Black & Mild et Here, mettent en lumière une dimension intime et fragile qui dissipent le secret qui entoure l’artiste. Le premier exprime une rage tonitruante loin de sa voix de baryton blasé, le second ravive la mémoire (et la voix) de son ami August 08, producteur de l’écurie Def Jam décédé l’été dernier. De quoi laisser penser qu’avec Channel Tres, la résolution d’un mystère ne peut que mener… à une nouvelle énigme.

Channel Tres, Head Rush. Sorti le 28 juin. Label RCA. Genre electro

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