Avec Pompeii, qui sort ce vendredi, Cate Le Bon saisit l’atmosphère du moment, bizarre, inquiétante, étouffante.
D’emblée, une précision : avec Cate Le Bon, il faut accepter de se perdre, d’oublier ses repères géographiques et temporels pour mieux se laisser guider par cette Galloise au charme toxique. D’ailleurs, qui refuserait de tendre la main à cette sainte à l’habit blanc immaculé, comme elle se présente sur la pochette de son sixième album, façon mi-icône, mi-Jeanne d’Arc ? À l’écoute de l’évasif Pompeii, l’impression se vérifie sans détour. Sa pop quasi spirituelle ne donne aucun indice : où sommes-nous ? À quel endroit ? À quelle époque ? Rien ne l’indique, en dehors, peut-être, de ces nappes de synthétiseurs très années 80, mais dont l’écho infini ramène au néant.
Le parallèle avec la période sclérosée et désorientante que l’on traverse tous est plus que tentant. C’est un argumentaire en soi! Remontons donc l’histoire pour mieux comprendre. Après des premières productions plus conventionnelles, coincée qu’elle était entre folk et rock haut perché, Cate Le Bon, comme une grande, a décidé de tracer son propre chemin. Il va se dessiner alors avec deux albums de haute tenue : d’abord Crabe Day (2016), au titre symbolisant bien cette avancée peu commune; ensuite avec Reward (2019), dont la splendide étrangeté a convaincu jusqu’au jury du prestigieux Mercury Prize, qui l’a retenue parmi ses coups de cœur.
Déjà à l’époque, la musicienne, dont la vision musicale singulière l’amène à mener de belles collaborations (Gruff Rhys, St Vincent, John Cale, Deerhunter…), avait ressenti un besoin d’isolement, composant son disque à Lake District, région montagneuse du nord-ouest de l’Angleterre. Mais c’était un choix muri, contrairement au confinement exigé par la pandémie mondiale. Surprise comme tout le monde, après une année passée sur les routes, Cate Le Bon a regagné son pays de Galles natal, squattant alors la maison d’un ami à Cardiff où elle avait passé une partie de sa vingtaine. Accompagnée seulement de son bras droit de longue date, Samur Khouja, et de son partenaire musicien et peintre Tim Presley, elle a saisi l’atmosphère du moment, bizarre, inquiétante, étouffante.
Composé entièrement seule – en dehors des parties de saxophone –, Pompeii (qu’elle décrit comme un «vide ininterrompu») porte en lui la fragilité et l’absurdité, avouons-le, de la situation actuelle. C’est un disque d’une profonde mélancolie, comme s’il portait tout le poids du monde sur ses fragiles épaules. Exit les arrangements parfois enjoués et les pieds de nez un peu dadaïstes, ici, Cate Le Bon dévoile ses sentiments bruts, complexes et froids comme le monde de dehors. D’ailleurs, certains titres s’attachent bien à cette idée d’enfermement, un peu à la Julia Holter et à la David Bowie version 70 (comme Remembering Me).
Mais Cate Le Bon, si elle se montre plus austère qu’à l’accoutumée, garde la recette de sa pop racée sans pareille : ce saxophone lugubre mais envoûtant, compagnon de tous les instants; ces éclats de guitare; cette rythmique sur la défensive, ces textes surréalistes, sans oublier cette voix à la douceur crépusculaire. Au final, Pompeii est à voir comme un tout : aucune des neuf chansons ne tire en effet son épingle du jeu. Elles se suivent et s’épanouissent, simplement, à chaque écoute. Oui, le puzzle est subtil et dévoile ses secrets en toute tranquillité. Un sens de l’émerveillement qui arrive à propos après deux années insensées, aux silences lourds. Pour les combler, aux mots, parfois impossibles, préférons la musique.