Sans vouloir forcer la comparaison avec les architectes du renouveau de la soul et du funk (Durand Jones, Leon Bridges, Monophonics…), il est évident que Willie J Healey n’a pas démérité sa place aux côtés des jeunes explorateurs du genre.
Citons Michael Kiwanuka, Jonathan Jeremiah ou encore Bobby Oroza, trois noms avec qui le garçon de 29 ans a aussi en commun le fait de ne pas être américain, mais européen. Loin des terres de la Motown, d’Atlantic Records ou de Stax, labels phares de la «Black music», le musicien né dans un patelin rural du centre de l’Angleterre se sent libre de réinventer à sa manière un genre qui l’a toujours fait vibrer. En opérant par là même un changement d’identité musicale, loin de la sensibilité pop-rock tendance psyché de ses deux premiers albums, qui avaient pourtant valu à Willie J Healey de se forger une «fanbase» solide, comptant parmi ses admirateurs Florence + The Machine, Alex Turner d’Arctic Monkeys ou encore le groupe Idles.
Woke Up Smiling, le titre qui inaugure Bunny, n’est d’ailleurs ni plus ni moins que le petit manifeste de la rupture de ton que le musicien engage avec ce troisième et nouveau disque. Inspiré par George Harrison, dont on jurerait entendre le même timbre de voix, le jeune homme se lance dans une ballade joyeuse et ensoleillée, marquée par des «bends» de guitare électrique à travers lesquels transpirent – à l’instar de ce que l’on connaît de la carrière solo de l’ancien des Beatles – une certaine idée, rêvée mais personnelle, de l’Amérique. Un décalage qui se veut le fil conducteur de l’album, et qui est aussi celui de son visuel, où «WJH» pose en tailleur sur le passage piéton d’une grande avenue américaine, avec une dégaine de touriste bobo qui ne trompe personne. Willie J Healey est un garçon dans le vent, seul mais loin de la solitude, et ce premier morceau dit «hello goodbye» à l’artiste qu’il était, enchaînant sans transition sur Dreams, pépite funky portée par une mélodie syncopée sur synthétiseur Moog, de ceux qu’affectionne Stevie Wonder.
Et Healey de ne plus déroger à la nouvelle règle : tout Bunny sera désormais de cette trempe, un album de funk et de soul qui n’a pas vocation à copier les aînés ni même à leur rendre un hommage flagorneur. Le musicien réinvente ses modèles, expérimente le métissage des genres et des sensibilités. Il porte ses références comme une fierté et les intègre à un patchwork, réconfortant et jubilatoire avec, en fin de compte, la création d’un son amélioré qui lui est propre, fort d’une ampleur électrique ultramoderne, voire synthétique. Car Willie J Healey a le sens du détail : pour preuve, ses harmonies savamment arrangées dans lesquelles il donne une place et un poids aux (nombreuses) couches de musique qu’il superpose. Si le propre du funk est d’être explosif et luxuriant, Healey a réussi son coup haut la main. Même les titres les moins solides, comme Bumble Bee ou la ballade pop Morning Teeth, offrent leur morceau de bravoure.
Un manifeste de l’insouciance, honnête, jamais mièvre et souvent espiègle
Dès que l’on touche à la fin de l’été, la tradition revient : un album sort, qui se pose comme une écoute idéale si l’on veut prolonger l’ambiance «feel good» des grandes vacances. Bunny est sans conteste celui-là, un tour de magie d’un artiste pratiquement inconnu qui sort le lapin de son chapeau. Par ailleurs, Willie J Healey ne garde pas sa langue dans sa poche : ses paroles sont honnêtes, jamais mièvres et souvent espiègles, comme le refrain de Thank You («Je veux te remercier / Pour absolument rien du tout»). Si l’on parle parfois d’album de la maturité, Bunny serait plutôt le manifeste de l’insouciance (oui, les deux peuvent coexister), porté par des guitares wah-wah et des clins d’œil qui vont de Sly and the Family Stone à Brian Wilson, en passant par David Bowie et même Bob Dylan. Un travail remarquable déguisé en expérience d’une simplicité confondante.
Willie J Healey – « Bunny »
Sorti le 25 août
Label YALA! Records
Genre funk / soul / pop