L’album choisi cette semaine par Le Quotidien est le dernier opus de Black Country, New Road : For the First Time. Il est sorti le 5 février sur le label Ninja Tunes.
La manière de recevoir le premier album de Black Country, New Road tient à un seul postulat : ceux qui découvrent le groupe et ceux qui le suivent depuis près de deux ans. Car le septuor originaire de Cambridge traîne une sérieuse réputation, gagnée à la faveur de singles d’une qualité déroutante. Sans oublier d’autres atouts dans sa manche : des lives costauds au Brixton Windmill, pub londonien qui façonne une belle brochette de la scène alternative du moment (Black Midi, Squid, Shame…). Et un producteur chez qui tout ce beau monde se doit de passer, soit Dan Carey, grand gourou du label Speedy Wunderground, accoucheur de talents (Kate Tempest, Fontaines D.C…).
Rien d’étonnant, donc, à voir nombre de leurs vidéos circuler sur le net, des concerts «en veux-tu, en voilà» – qui rappellent vicieusement tout le manque accumulé ces derniers mois – et même une toute récente émission de télé, celle de Jehnny Beth (l’excellente Echoes sur ARTE). À l’affiche, Black Country, New Road posait aux côtés de Kim Gordon (Sonic Youth) et Ed O’Brien (Radiohead). Rien que ça ! C’est peu dire si ces fiers représentants de la jeunesse anglaise débridée ont, en un rien de temps, suscité de nombreuses attentes, attisées par le souffle d’une pandémie qui fige tout ce qu’elle touche. Y ont-ils répondu ? C’est là que l’on revient à l’hypothèse de départ…
Le fan, tout satisfait que, pour son coup d’essai, Black Country, New Road soit appuyé par Ninja Tunes, découvre la teneur de l’objet un brin déconfit : six petits titres, pas un de plus – sachant que l’ensemble tient sur un peu plus de 40 minutes. Et parmi ceux-ci, quatre déjà dévoilés au compte-gouttes depuis 2019, même s’ils connaissent ici un léger lifting. Il en veut donc rapidement au second, le novice, celui qui va découvrir ce magnifique For the First Time avec des oreilles vierges. Ce qui lui permettra de comprendre pourquoi tout est si condensé.
Car Black Country, New Road offre ici une expérience musicale, plus proche, d’ailleurs, du post-rock ou du free jazz que du post-punk. Un voyage cinématographique en terres hostiles avec, en arrière-plan, un orage qui menace. De là surgissent des sonorités traînantes, étrangement calmes, qui n’attendent que d’exploser. Une BO mystérieuse, parfois soulignée par le cynisme clairvoyant de son chanteur-narrateur Isaac Wood, quand ce n’est pas par un violon faussement enjôleur ou les plaintes chaotiques d’un saxophone que n’aurait pas renié James Chance. Six chansons qui, entremêlées, s’unissent comme dans un éclair : l’énergie semble incontrôlable, mais elle tient pourtant d’une rigueur infaillible.
Pour mieux montrer qu’il ne fait rien comme les autres, Black Country, New Road s’offre même quelques écarts vers la musique klezmer, sans que cela ne gâte le tableau, d’une maturité insolente. C’est à la fois envoûtant et casse-gueule, évident et progressif. De Slint, référence évidente, à Shellac en passant également par le plus éloigné Lift to Experience, l’envie de rattacher ces jeunes talents à des modèles du genre est tentante. Promettons-leur plutôt de poursuivre sur cette route qu’ils viennent à peine de fouler. Elle semble en effet pleine de promesses et de surprises. Et aux nombreux qui voudront l’emprunter, un avertissement tout de même : «It’s black country out there…».
Grégory Cimatti