Bill Callahan nous séduit avec Gold Record, sorti le 4 septembre sur le label Drag city.
Il a beau réduire le son, laissant parler la guitare solitaire, nue devant des arrangements réduits, et raconter, humble, de sa voix de plus en plus grave, qu’il n’a jamais eu de grandes attentes, Bill Callahan suscite l’engouement. Pourquoi? Peut-être parce que son parcours s’appuie sur une fidélité sans pareille. À un label, Drag City, qui l’héberge depuis près de trente ans. À un style, se réclamant toujours de l’héritage de Mickey Newbury. À un art aussi, celui d’un artiste tourmenté et désabusé qui, pour mieux supporter la réalité, l’orne de poésie, de rêverie, de colère contenue, de cynisme, d’humour noir… De loin, l’auditeur distrait n’y verrait qu’un musicien folk «à l’américaine». De près, toutes les nuances, les paraboles et de folles divagations sautent aux oreilles, rappelant, à juste titre, que la vie, aussi banale soit-elle, peut cacher des fragments magiques, pour peu que l’on ait envie de gratter en surface.
Son dix-septième album, Gold Record, confirme cette envie d’extraordinaire. Sur la pochette, une voiture s’embarque sur une route désertique, sans fin – son Texas d’adoption en regorge – mais les cactus qui la bordent sont des néons fluorescents. Le message est clair : il faut parfois jeter des regards de côté pour dépasser l’évidence. Ses dix nouvelles chansons, succédant à celles, nombreuses, de Shepherd in a Sheepskin Vest (2019), appuient la métaphore, qui s’applique à l’artiste lui-même. Avant, du haut de sa montagne, Bill Callahan portait un regard cynique sur le monde frénétique s’agitant à ses pieds – justifiant ses névroses et ses élans déboussolés. Aujourd’hui, âgé de 54 ans, alors qu’il a trouvé l’apaisement dans le mariage et la paternité, il y participe. Engagé, et non plus dégagé.
Ballades humanistes
C’est sûrement ici sa plus grande évolution : se tourner vers les autres, à travers une collection de ballades humanistes. D’ailleurs, comme autant de petits cadeaux désintéressés, une après l’autre, chacune d’entre elles était dévoilée chaque lundi, et ce, durant neuf semaines. Ainsi, le «je», misanthrope, et le spleen à fleur de peau laissent ici place à une plus grande empathie. C’est que l’homme a grandi, vieilli, comme en témoigne une discographie (sous son nom ou celui de Smog) qui, progressivement, chasse l’obscurité pour plus de chaleur, oublie le scepticisme pour la gratitude.
Plus tranquille, Bill Callahan commence alors par rendre hommage à ses modèles (le disque est lancé par un surprenant «Hello, I’m Johnny Cash», avant d’honorer Leonard Cohen et, plus loin, Ry Cooder). Puis il déroule toute une galerie de personnages : un chauffeur de limousine, une personne derrière sa télévision, un prétendant, un homme dans une voiture en panne, un lecteur, un vagabond… Des portraits assez banals que l’auteur-compositeur rend imprévisibles, qui prennent vie sous les guitares de Matt Kinsey et la basse de Jaime Zurverza, enregistrés en une seule prise. Des percussions, cuivres et synthétiseurs s’incrustent dans la ronde, sur la pointe des pieds, comme pour ne pas déranger.
Avec Gold Record, Bill Callahan semble avoir compris une chose, essentielle : qu’il est difficile d’être humain, et que chacun traverse des difficultés en essayant de faire au mieux. Avec le temps, il se décrispe, vis-à-vis des autres, vis-à-vis de lui-même, comme lorsqu’il reprend sa chanson Let’s Move to the Country, datant de 1999 et dont il comble aujourd’hui les vides. Un retour aux sources qui s’observe aussi dans ce disque «downtempo», à la structure acoustique et à la veine classique. Comme dans un souffle, Bill Callahan semble suivre ses chansons au lieu de les diriger. Celles-ci, comme son créateur, n’exigent rien, et n’ont qu’une seule certitude : que la richesse et la beauté se nichent dans les détails.
Grégory Cimatti