Sharp Pins
Balloon Balloon Balloon
Sorti le 21 novembre
Label Perennial Death
Genre rock
C’est devenu une habitude : à l’approche des fêtes de fin d’année, les Beatles font l’actualité, encore et toujours, avec plus ou moins de consistance. Cette année ne déroge pas à la règle : dans les bacs, la ressortie en coffret du copieux Anthology, agrémenté d’inédits, et sur Disney+ depuis hier, le documentaire du même nom, lui aussi enjolivé d’un neuvième épisode.
De quoi sûrement patienter jusqu’à 2028 et la sortie des quatre biopics du réalisateur Sam Mendes… Ça fait beaucoup pour un groupe qui s’est séparé il y a 55 ans. Surtout, ça jette une ombre sur les créations actuelles qui disent s’en inspirer, par simple nostalgie ou volonté de recycler le vieux pour en faire du neuf. Mais parmi celles-ci, une a joué des coudes un peu plus fort pour se hisser au premier plan : Sharp Pins.
Derrière cette appellation, un seul homme, tout juste adulte et qui, du haut de sa vingtaine à peine entamée, impressionne : Kai Slater, guitariste et chanteur de Chicago. Oui, depuis deux ans, il affiche son génie avec insolence et décontraction.
En solo, il a déjà signé deux albums : Turtle Rock (2023) et Radio DDR (2024) – ce dernier a même fait l’objet d’une réédition augmentée, comme si l’on avait affaire à un vieux briscard. Mais c’est avec ses deux amis (Asher Case et Isaac Lowenstein) qu’il a fait parler de lui.
Ou du moins de leur groupe, Lifeguard, auteur juste avant l’été d’un des meilleurs disques de 2025 : Ripped and Torn, concentré de fougue propre à la jeunesse qui revisite avec fraîcheur, à grands coups de mélodies et de vacarme conjugués, l’histoire récente du rock. Mais apparemment, ça ne lui suffisait pas.
Le revoilà en effet en piste avec Balloon Balloon Balloon qui, à l’instar de la formule magique de Beetlejuice (à répéter trois fois), transporte dans un univers parallèle. Lequel? Visuellement, c’est une évidence avec cette pochette qui ramène à la compilation de Donovan Like It Is, Was, and Evermore Shall Be, sortie en 1965. Dedans, c’est pareil : les 21 chansons (qui défilent sur 44 minutes) font un clin d’œil plus que prononcé aux fameuses «Swinging Sixties» britanniques.
Avec son look élégant très «mod» et sa chevelure en bataille, Kai Slater se fond parfaitement dans le paysage. Pourtant, si son intention est bien d’adresser un hommage aux chansons d’amour et au rock des premiers temps, il le fait sans pastiche et à sa manière.
Celle d’un artiste qui chérit l’underground – rappelons qu’il est à l’origine d’un fanzine (Hallogallo). Dans ce sens, sa musique, adorablement décousue, n’en est finalement qu’une émanation, dans l’aspect comme la fabrication.
Ainsi, si la recette offre quelques éléments connus, comme ces chœurs à la pelle et ces mélodies façon The Byrds qui se fredonnent et restent longtemps en tête, l’ensemble est d’un tout autre aspect. Balloon Balloon Balloon s’impose comme il est : un étrange objet aux airs de vieille démo poussiéreuse découverte dans une foire aux disques.
Son auteur l’a cherché, en privilégiant l’enregistrement fait maison sur du vieux matériel, à l’instar de ce TASCAM Portastudio, premier quatre pistes au monde… avec sa cassette audio incluse! Résultat? Le disque porte les stigmates de ce choix vintage : on y trouve des bruits, de la distorsion et des larsens. Et les chansons s’enchaînent dans un écho lointain, comme passées au filtre d’une radio brouillée. Singulier et pourtant efficace : «Je me sens comme un dieu du rock… dans ma chambre», confiait d’ailleurs Kai Slater au magazine américain Paste.
Derrière sa douze cordes cristalline, il joue ici à l’équilibriste entre une pop lumineuse, des interludes contemplatifs et des élans plus énergiques, parfois punks, parfois psychédéliques. Le tout dans une production minimaliste, comme a pu le faire avant lui le groupe Guided by Voices.
Mais si Kai Slater aime les références, c’est pour mieux les déjouer. S’amuser des contraintes techniques, tenter des expériences sonores et faire un pied de nez à l’Histoire, voilà ce qui l’intéresse.
Seul ou accompagné, il se veut le porte-parole d’une jeunesse prête à tuer les vieux modèles pour réinventer un monde qui lui ressemblera, mobilisé derrière le cri de ralliement «Youth Revolution Now!».
Cet album kaléidoscopique, qui se désagrège lentement dans les oreilles au fil de l’écoute, n’est qu’un maigre exemple de cette volonté de changement. Pas sûr qu’il sied à tout le monde. Heureusement, il restera toujours les Beatles.