Cette semaine, Bright Green Field de Squid, sorti le 7 mai sur le label Warp.
Mais que se passe-t-il donc sur cette île ? Celle qui, depuis l’affirmation du Brexit, prend ses distances et se perd dans des logiques populaires. Squid, originaire de Brighton (sud-est de l’Angleterre), sait que ce repli sur soi n’amène rien de bon. En dehors peut-être d’une chose : l’émergence d’une musique incisive qui, comme dans un symbole, brise les murs et se réinvente un horizon enchanté.
Ils sont d’ailleurs nombreux à s’en faire le porte-voix : Idles, en tête de gondole, mais aussi Shame, Black Country New Road, black midi, Tiña, Life… et parfois même des voisins, irlandais ou normands, qui s’invitent à la colère ambiante (Fontaines D.C., MNNQNS). Au milieu de ce créatif tohu-bohu, on trouve un homme, Dan Carey, producteur génial qui appuie toutes ces bonnes âmes de son savoir-faire.
Houseplants (2019) et Sludge (2020), les deux premiers singles de Squid, venaient justement de chez lui. Bright Green Field, leur premier album, a eu aussi droit à son expertise, bien qu’il soit estampillé Warp, label anglais qui s’est fait un nom dans la scène électronique, mais pas que (Aphex Twin, Brian Eno, Grizzly Bear…). Étonnant ? Non, puisque le quintette ne rentre pas dans les cases, entre attirail rock, attitude punk et exploration free-jazz.
Pour se convaincre de cette orientation tous azimuts, comme de leur sensible irritation, G.S.K., première chanson du disque, sert de guide fiable. Musicalement, ça part dans tous le sens, avec des inclinaisons jazz, dub, punk, «indus» qui se mêlent à l’envi. Dans le texte, l’abréviation renvoie à GlaxoSmithKline, géant pharmaceutique, et au livre de J. G. Ballard (Concrete Island), qui devient ici une allégorie dystopique de l’actuelle Grande-Bretagne. Une «île de béton», comme le dit le chanteur-batteur Ollie Judge (qui écrit aussi les textes), sur laquelle «je suis depuis trop longtemps…».
L’Angleterre n’en a pas fini d’en prendre plein les oreilles…
Voilà donc l’idée centrale : dépeindre le malaise du moment avec une palette de sons et d’emprunts qui n’a pas de limite. D’ailleurs, équitable, Squid place aussi l’auditeur dans un état d’alerte, l’amenant dans de déroutants (mais appropriés) changements de direction. Oui, avec ces Anglais, le cap n’est jamais clair, et la perspective multiple, comme l’affichent plusieurs titres qui dépassent les six minutes : Narrator, Boy Racers, Paddling, Pamphlets.
Sur le premier, la chanteuse invitée, Martha Skye Murphy, rappelle qu’en période de troubles, le cri cathartique reste une arme efficace. Sur les autres, l’électronique et le psyché s’associent aux guitares aiguisées et au chant nerveux. Une désorientation qui s’appuie sur toute une série d’outils (saxophone, violon, violoncelle, trombone…), mais qui restent dans les clous en termes de référence : d’un côté, David Byrne (Talking Heads) et James Chance. De l’autre, le krautrock pour les boucles hypnotiques. Au milieu, le groupe joue magnifiquement à l’équilibriste : c’est chaotique mais maîtrisé; hybride mais cohérent; corrosif mais séduisant.
Cette année, Squid n’est certes pas le premier, et ne sera pas le dernier à célébrer un rock libre et affranchi – le prochain album de black midi, prévu pour la fin du mois, devrait apporter sa pierre à l’édifice. Saluons alors ces allers-retours, au sein d’une grande et même famille, qui nourrissent la créativité et donnent des ailes. L’Angleterre n’en a pas fini d’en prendre plein les oreilles. Squid et les autres y veillent.
Grégory Cimatti