D’après Cleo Sol, la naissance de Mother est le fait du destin. En juin, l’auteure et interprète britannique a donné naissance à son premier enfant, une expérience qui l’a «transformée» et qui lui a «donné de la force», écrivait-elle sur Instagram.
Et alors qu’elle avait prévu de faire une pause dans sa prolifique carrière, les dieux en ont voulu autrement : immédiatement, elle s’est remise à écrire. Avec Mother, ce sont les expériences de la vie, symbolisées par une étape majeure, qui se transforment en art, en poésie. Douze titres lumineux et intimes qui s’ouvrent au monde et dont toute l’essence se trouve dans une image, celle de la pochette : la chanteuse porte son nouveau-né contre son corps. Au-dessus du canapé est encadré le portrait de la mère de Cleo Sol. C’est une histoire de filiation, de relève, de transmission. Une envolée céleste en guise de «break».
Il faut dire que Cleo Sol n’est pas vraiment habituée au repos. Pourtant, elle avait déjà disparu des radars en 2012, après avoir complété un premier album, jamais sorti, avant de revenir en douceur cinq ans plus tard et de creuser son sillon depuis. À 31 ans et avec déjà près de quinze ans de carrière, elle ne va plus rester longtemps le secret le mieux gardé de la soul britannique. Déjà parce que l’on sait désormais qu’elle est l’un des piliers de Sault, énigmatique groupe d’avant-garde qui repousse les limites du funk, de la soul et du post-punk, lui aussi peu porté sur les pauses – cinq albums depuis 2019, cinq chefs-d’œuvre –, mais encore parce que son premier album, Rose in the Dark (2020), avait déjà fait parler de lui.
En entrant dans ce deuxième disque, on reconnaît immédiatement l’ambiance feutrée, à la limite du minimalisme, de Cleo Sol. C’est sa voix, accompagnée au piano, qui introduit l’album, mais à mi-chemin, Don’t Let Me Fall, révèle d’autres intentions : l’instrumentation gagne en volume, s’étoffe d’une voix doublée, puis triplée, avant de retomber sur une longue conclusion «sottovoce» qui marque la transition vers le morceau suivant, Promises. C’est clair : Mother continuera à enrichir le style de l’artiste, mais ne sera pas une simple continuation de Rose in the Dark.
La grande richesse de Mother consiste à faire infuser d’autres langages dans celui de la soul
De même que Sault est à la croisée des genres, on retrouve dans cet album une richesse qui consiste à faire infuser d’autres langages dans celui de la soul. Heart Full of Love se présente ainsi comme une ballade qui lie trois générations en quelques paroles simples mais éclatantes («Merci de m’avoir envoyé un ange depuis le paradis / Quand mon espoir s’évanouissait, tu me rendais forte»); We Need You débute sur une note «neo-soul» pour se transformer progressivement en un éblouissant chant de gospel; Music offre une deuxième partie qui emprunte des éléments au jazz romantique d’Amérique latine, déjà anticipés dans Don’t Let It Go to Your Head.
Tout cela participe de l’un des messages que Cleo Sol porte tout au long de l’album : la transmission. Elle l’explicite dans les paroles de We Need You et de One Day, espérant le meilleur avenir possible dans un monde où il est difficile de vivre. Musicalement, cette thématique est partout, avec trois références majeures : Stevie Wonder, Minnie Riperton – on croirait même entendre, dans Music, un motif tiré du célèbre titre de 1969 Les Fleur – et Sade. Ces inspirations prestigieuses sont le langage de Cleo Sol, ce qui l’a fait exister en tant qu’artiste, et ce qu’elle voudra laisser comme héritage à sa fille et au monde. Fabriqué dans l’intimité, produit entièrement et uniquement par le toujours génial Inflo – dont on dit qu’il serait le leader de Sault –, Mother se pose illico comme l’un des plus beaux albums de l’année.
Valentin Maniglia
Cleo Sol
« Mother »
Sorti le 20 août
Label Forever Living Originals
Genre soul