Cette semaine, Le Quotidien a choisi d’écouter l’album de Mon Laferte, Autopoiética, sorti le 10 novembre sur le Label Universal
Selon Humberto Maturana et Francisco Varela, qui en ont établi le concept en 1972, l’autopoïèse est la capacité d’un système à continuellement se produire lui-même, donc à se régénérer, en maintenant sa structure. Comme les deux biologistes, Mon Laferte est chilienne; comme leur découverte, la caméléonne de la musique latine possède la faculté de se réinventer, artistiquement, tout en gardant son identité.
Par hasard (ou pas), elle sort ses albums à l’automne ou au printemps, les saisons de la métamorphose et de la renaissance. À 40 ans, dont près de la moitié dédiée à sa carrière de musicienne au Mexique, Mon Laferte a exploré tout l’éventail des musiques latines, de la cumbia au boléro, du mariachi à la salsa, qu’elle fait sonner rock (Desechable, 2011) ou folk (1940 Carmen, 2021).
L’artiste, qui porte habituellement la frange courte et emprunte son look aux pin-up des années 1950, est aussi une grande chanteuse de ballades, qu’elle déclame d’une voix ample et mélodramatique. Autopoiética, son nouvel opus, se pose comme un manifeste : pour la première fois, Mon Laferte pioche dans son catalogue, empruntant à elle-même les idées, styles et thèmes qui caractérisent son art. Et, à travers 14 nouvelles chansons, procède à une autotransformation.
Autopoiética pose l’identité définitive de son artiste
En ouverture, Tenochtitlán fait partir l’album sur des bases trip-hop qui servent de décor à un récit personnel de l’espoir et de la liberté artistique; l’artiste y fait briller le romantisme et la nostalgie qu’elle porte depuis toujours, sans s’interdire un «break» au vocodeur. Plus loin, deux hymnes à l’«empowerment», Metamorfosis et NO+SAD, avancent sur les terrains balisés du reggaeton – l’un a les atours festifs de la salsa caribéenne, l’autre, plus sinistre, est une lettre ouverte aux «haters» qui lui reprochent de troubler l’ordre public.
La «señora hardcore» (telle qu’elle se définit dans NO+SAD) persiste et signe, grâce à des textes crus et sans tabous qui étanchent sa soif de liberté. La douceur de la bossa nova (Préndele fuego) et les cuivres éclatants du boléro (Pornocracia) amènent Mon Laferte sur les chemins du sexe, dans un cas émancipateur, dans l’autre maléfique.
Avec Te juro que volveré, elle revient à la cumbia – l’un de ses genres de prédilection –, là encore dans une variation inédite, transformant sa voix, par effet de ralenti, en un sanglot déchirant. On y entend le destin d’une jeune femme partie à l’étranger pour devenir chanteuse, promettant à sa mère de revenir lui offrir une belle vie une fois qu’elle aura percé. Loin de chez elle, la femme vit dans l’illégalité, elle galère, et la mère meurt lorsqu’elle décroche son premier gros contrat. Une fable inspirée de son propre parcours, Mon Laferte ayant quitté le Chili pour repartir de zéro au Mexique.
Dans un album qui veut poser l’identité définitive de son artiste, on retrouve le romantisme de Mon Laferte, fidèlement retranscrit lorsqu’elle regarde vers la cumbia, le flamenco (Levitico 20:9) ou la salsa cubaine (Amantes suicidas). Mais Autopoiética relève brillamment le défi de prendre un virage à chaque morceau, tout en expérimentant autour des sonorités récentes et des évolutions de la pop latine. À bien des égards, c’est son album le plus risqué. C’est aussi finalement le plus abouti, qui s’achève, après une version à voix basse du Casta Diva de Bellini, dans un grand brouhaha digital.