Avec Positions, Ariana Grande conclut un triptyque dans lequel elle s’est employée à mettre en harmonie des réflexions introspectives dans des ambiances lascives qui, progressivement, ont laissé de moins en moins de place à l’imagination.
Les albums Sweetener (2018) et thank u, next (2019) étaient deux faces d’une même pièce : le premier, marqué par l’attentat de la Manchester Arena et sa rupture avec Mac Miller, jouait en contradiction – un acte de résilience – avec son climat euphorique. Dans le suivant, écrit et enregistré dans l’immédiat après de la mort du rappeur, on entendait une Ariana Grande confidentielle mais jamais interdite, explorant principalement le thème du deuil tout en faisant valoir l’estime et le respect de soi-même comme credo féministe essentiel, dans des tubes planétaires indiscutables (7 Rings, Thank U, Next et Break Up with Your Girlfriend, I’m Bored).
Les drames de sa vie privée ont engendré des démons qu’elle exorcise dans la musique et elle prouve dans Positions qu’elle en a fini – du moins pour l’instant – avec les traumas. C’est un chapitre qui se clôt à la douce lueur d’une lumière tamisée pour mieux y opposer le dévergondage assumé d’un confinement consacré à une intense activité sexuelle. Le sexe comme thérapie ? C’est un début de réponse que confirme la pochette, un gros plan du visage de la chanteuse à l’endroit, tandis que ses deux précédents opus, largement plus tourmentés, la représentaient à l’envers, comme si son travail d’introspection lui avait remis les idées en place ou, littéralement, la tête sur les épaules. Cela dit, elle se targue d’être une spécialiste de la tête en bas, quoique dans d’autres circonstances, sur le très pop 34+35 (le compte est bon), qui explicite l’une des nombreuses «positions» auxquelles elle aime s’adonner.
Pour schématiser, ce nouvel album marque la dernière étape de la transformation de «Cinderella» (ainsi que l’a immortalisée Mac Miller dans une chanson) en Barbarella, guerrière de l’espace aux courts tissus et symbole de l’érotisme débridé. La thématique du sexe règne sur Positions, sans complexes, dans tous les sens : Ariana Grande accepte de faire «des trucs qu’habituellement» elle «ne fait pas» (positions), révèle son côté sale (nasty) ou encore explore l’osmose sexuelle entre elle et son partenaire (Love Language, My Hair). L’acte, elle le décrit excitée, le raconte sérieusement mais le regarde aussi avec l’œil rieur, glissant ici et là une blague occasionnelle qui lui permet, dans ce sixième album, de se moquer (enfin) ouvertement de son image, la meilleure réponse à ceux qui ont considéré l’ex-ado star comme une idole aseptisée de la génération Z, en démontrant que l’on peut se revendiquer comme la digne descendante de Judy Garland et Julie Andrews sans bouder le plaisir de taper les mots-clés les plus crus dans la barre de recherche Pornhub.
Toutefois, le contenu explicite de Positions – qui, curieusement, n’est pas averti par le fameux macaron «Parental Advisory» habituellement présent – ne fait pas tout l’album. À travers une poignée de ballades qui brillent par leur sensibilité, la chanteuse raconte les émotions que lui procure la redécouverte de l’amour; celles-ci passent par la peur de l’engagement, après deux relations toxiques (les très beaux Off the Table, avec The Weeknd, et Safety Net, avec Ty Dolla $ign) ou encore la question de la confiance, dans son magnifique final, Pov, dans lequel la chanteuse aux quatre octaves s’aventure dans une néo-soul à la beauté renversante, qui en ferait presque oublier la théâtralité à la Madonna de son obsession pour les plaisirs de la chair. De là à dire que ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins…
Valentin Maniglia