The Neon Skyline, d’Andy Shauf, c’est onze titres, onze chapitres où l’on s’enquille des verres et l’on rencontre l’ami Charlie, la barmaid Rose, une connaissance (Claire), sans oublier l’éternelle ex-«girlfriend» (Judy)…
Si les gens écoutaient Andy Shauf dans la voiture, il y aurait moins de cons sur les routes»… Voilà le genre de discussions enlevées que l’on pouvait entendre du côté des Rotondes, il y a près de trois ans, dans la foulée du concert donné par le musicien canadien qui, comme certains de ses contemporains (Kevin Morby, Mac DeMarco), donne tout son sens à l’expression qui dit que la musique adoucit les mœurs. La sienne est en effet à son image : délicate, discrète, légère. Autant d’attributs qui l’ont toutefois longtemps laissé sous les radars du public et des critiques, jusqu’à ce joyau ciselé qu’est The Party (2016), album garni d’arrangements folk lumineux et orchestraux, fort d’une sublime ouverture (The Magician).
Si à l’époque beaucoup le comparaient aux troubadours les plus notoires – Harry Nilsson, Randy Newman, Steely Dan, voire Paul Simon –, voyant dans les orientations du musicien une exploration nouvelle de la pop baroque des années 70, ce premier disque «reconnu» (alors qu’il en était déjà à son cinquième, le premier, Love and the Memories of It, datant de 2006) avait le mérite de sceller les bases de sa démarche artistique.
D’abord, avec Andy Shauf, tous les instruments se valent, même dans un style aussi dépouillé que le folk. Et vu qu’il joue de tout, ses mélodies s’enrichissent comme un mille-feuille, dans lequel on trouve ici et là de la clarinette, de la flûte, du saxophone… Ensuite, et c’est tant mieux, le garçon n’est pas du genre à faire dans le grandiloquent, ses morceaux gardant ainsi le sens de la concision.
Enfin, avec Andy Shauf, on retrouve avec enthousiasme tout l’art du «storytelling». Faut-il d’ailleurs y voire une lointaine filiation avec Joni Mitchell qui, comme lui, a grandi dans les immensités inhabitées du Saskatchewan, cette province du centre du Canada ? Quoi qu’il en soit, c’est bien son sens de l’observation qui donne toute la matière à ses chansons d’une finesse fédératrice qui, aussi humbles que leur compositeur, racontent sans ambages la vie qui vient et qui va, parlent des copains, du quartier, de l’amitié, de l’amour de proximité.
Virées nocturnes au cœur d’un bar de sa ville, le Skyline
Ainsi, The Party dressait les portraits des protagonistes d’une fête organisée chez l’un d’eux. En somme, quasiment un disque à sketchs. The Neon Skyline épouse la même philosophie, sauf qu’ici il est question de virées nocturnes au cœur d’un bar de sa ville (Toronto), le Skyline, où il a ses habitudes. Et chacun sait que les anecdotes fleurissent dans un tel endroit de perdition.
Un peu comme Jean-Marie Gourio et ses Brèves de comptoir, Andy Shauf attrape les histoires qui traînent, s’offrent à lui. «Chaque chanson est comme une saynète. J’ai romancé quelques anecdotes que j’avais entendues», raconte-t-il. Onze titres, soit onze chapitres où l’on rencontre l’ami Charlie, la barmaid Rose, une connaissance (Claire), sans oublier l’éternelle ex-«girlfriend» (Judy) qui débarque sans prévenir, rouvrant des blessures passées qui ont eu tant de mal à cicatriser, permettant au passage au narrateur de faire le point sur sa vie – car c’est aussi ça, le folk !
Le tout, textuellement, est enrobé par une foule de détails et porté aussi par une écriture tout en empathie et en autodérision. Musicalement, après s’être offert, il y a deux ans, une escapade avec Foxwarren, le groupe qu’il a formé avec des amis, Andy Shauf est revenu à des arrangements plus dépouillés que sur The Party, ne serait-ce seulement du fait que le disque a été composé davantage à la guitare qu’au piano. «J’ai essayé d’être plus direct (…) Je ne voulais pas que les pièces dépendent du polissage», confiait-il encore.
Entre moments d’introspection, rencontres enivrées, anecdotes humoristiques, souvenirs, aussi, rappelant que l’amour peut être cruel, on se plaît clairement à être le camarade de boisson d’Andy Shauf. Avec The Neon Skyline, il distille avec une grâce rare ces instantanés, tantôt guillerets, tantôt mélancoliques, puisant dans une large palette sonore (parfois très jazzy) pour dépeindre les humeurs noctambules. Allez, promis, on en écoute une dernière, et après on s’en va.
Grégory Cimatti