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[Album de la semaine] «Alligator Bites Never Heal» de Doechii : icône en formation


Dans ce nouveau disque, Doechii ne manque pas d’étaler ses rapports conflictuels, parfois paradoxaux, avec les labels. (Photo TDE / Capitol)

Premier album ou troisième mixtape ? Les standards d’exigence de Doechii sont si élevés qu’on ne saurait où classer Alligator Bites Never Heal.

Bien que la principale intéressée opte pour la deuxième option (tout en maintenant le doute), si l’on en croit une «tracklist» ayant tourné sur internet il y a deux ans, une partie des titres que l’on découvre enfin étaient bel et bien destinés à ce qui devait être le premier album de la rappeuse. Un premier album qui, disait-on alors, devait contenir douze chansons et quatre artistes invités. Dans Alligator Bites Never Heal, il y a dix-neuf titres et un seul «featuring» (apporté par l’inconnue Kuntfetish, que l’on ne risque désormais plus d’oublier).

C’est que la Floridienne a une réputation à tenir, ou plutôt, si on la croit, qui reste encore à se faire. Dans Profit, elle affirme «représenter sa ville», Tampa, même si les gens du cru la «détestent»; à la fin du morceau, on entend la voix de Moosa Tiffith, coprésident de Top Dawg Entertainement (TDE), donner sa bénédiction à l’artiste. «Deviens l’icône que tu es», lui glisse-t-il au téléphone.

Kendrick Lamar, une inspiration majeure

Dans ce nouveau disque, Doechii ne manque pas d’étaler ses rapports conflictuels, parfois paradoxaux, avec les labels. Celle qui est devenue virale avec le single Yucky Blucky Fruitcake (2020) s’indigne d’être depuis considérée par les patrons de maisons de disques comme une «rappeuse TikTok». Surtout au vu du chemin parcouru depuis : en 2022, le départ de Kendrick Lamar de TDE pour fonder sa propre maison de production laisse un grand vide, d’autant que le rappeur de Compton embarque avec lui Dave Free, autre figure historique du label.

Dans la foulée, TDE se réorganise et signe Doechii. Sur la dizaine d’artistes que compte le «roster», elle est la plus jeune est la moins connue; la seule autre femme sur la liste est une perle du R’n’B répondant au nom de SZA. Voilà qui pourrait laisser toute la place à la «princesse des marais» pour reprendre un trône laissé vacant depuis deux ans.

Il va sans dire que Kendrick Lamar est une inspiration majeure pour la rappeuse de 26 ans; la moitié des producteurs qui œuvrent ici ont une longue histoire avec TDE, l’auteur de Damn (2018) et ses copains (J. Cole, Isaiah Rashad, Schoolboy Q…), et Doechii s’empare du même «flow» élastique sur nombre des titres du disque, à l’image d’un Hide N Seek qui fera bouger bien des têtes. Mais dans l’esprit, Doechii regarde surtout dans la direction d’une Nicki Minaj, elle qui s’autodéfinit «pimpcess» (dans Bullfrog) et qui aime gratifier son public d’un phrasé âpre et de paroles graveleuses (voir Catfish, l’un des grands titres de l’album en forme d’ego trip, et Denial Is a River, sur lequel elle joue le double rôle de la psy et de la patiente).

L’héritière du trône de TDE, laissé vacant depuis le départ de Kendrick Lamar

Si Alligator Bites Never Heal défile à toute vitesse (47 minutes), Doechii sait distiller ses moments les plus importants : passée la première moitié du disque, Boom Bap et Nissan Altima font office d’exemples pour définir le projet – et par extension l’artiste. Le second, pour le pur «banger» qu’il est, et le bel avenir qu’il a en concert, en boîte de nuit et en strip club. Le premier, parce qu’il passe pour un manifeste rap et féministe déclamé les poumons pleins, sur un sample classique tournant en boucle.

C’est la déclaration la plus forte de Doechii, dite haut, fort, et les deux majeurs levés, le sommet d’une première moitié chargée à bloc qui ouvre la voie au reste du voyage, plus poétique. La pop de Slide prouve à ses détracteurs qu’en plus de rapper sale, elle sait aussi chanter merveilleusement bien, et peu avant de finir sur le titre éponyme, qui laisse Doechii s’éloigner sur une jolie bossa nova, elle glisse Fireflies, morceau de bravoure aux harmonies complexes, sur lequel sa voix se fait toute petite.

Elle est comme ça, Doechii : tout l’humour cinglant qui lui sert à distiller ses vérités les plus percutantes n’enlève en rien son besoin d’aller vers la lumière et le réconfort. Une marque de noblesse…

Doechii, Alligator Bites Never Heal. Sorti le 30 août. Label TDE / Capitol. Genre rap

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