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[Album de la semaine] «Allbarone» : Baxter Dury, nouvelle formule


Baxter Dury

Allbarone

Sorti le 12 septembre

Label Heavenly Recordings

Genre electro

Si un album de Baxter Dury est invariablement identifiable à son auteur, force est de constater que chaque nouvel opus du Londonien n’arrive jamais vraiment à l’endroit exact où on l’attend. Un exemple récent?

Son précédent album, I Thought I Was Better Than You (2023), avec lequel ce personnage de dandy fatigué, anticipant habituellement son propre futur dans son univers bien à lui, enclenchait pour la première fois un retour vers le passé, avec un regard très personnel.

Autre exemple, plus flagrant encore, celui de B.E.D (2018), dont le titre reprenait les initiales des éminences grises qui l’ont concocté : le B de Baxter, donc, le E d’Étienne de Crécy, le déglingo de l’electro française, et le D de la punkette Delilah Holliday. Un trio explosif qui, au gré des tempos minimalistes et d’une légèreté pop revendiquée, a surgi à l’opposé du boxon sonore que laissait supposer leur association.

Avec Allbarone, l’inattendu frappe encore plus fort. L’album de Baxter Dury taillé pour les clubs electro, c’est celui-ci. Ainsi, de la même manière que Serge Gainsbourg, l’un de ses modèles, avait viré reggae (Aux armes et cætera, 1979) ou funk (Love on the Beat, 1984), l’Anglais de 53 ans suit la cadence tapante des boîtes à rythmes et des boucles électroniques à l’efficacité immédiate.

Ce qui cache une autre anomalie dans sa discographie : habitué à être le seul architecte de ses sorties solo, Baxter Dury doit son changement de paradigme musical à Paul Epworth, producteur caméléon et auteur de tubes pour – entre autres – Adele (Skyfall, Rolling in the Deep), Coldplay (A Sky Full of Stars) et Florence + The Machine (Spectrum). Entièrement conçu à partir d’improvisations (l’idée même d’en faire un album est venue sur le tard), paroles et compositions créées simultanément, Allbarone pourrait donc être l’opus-manifeste de Baxter Dury pour une nouvelle façon, indiscutablement percutante, de faire de la musique – avec un ingrédient majeur, celui de transformer les différences entre Dury et Epworth en complémentarités.

Le producteur «a déjà eu affaire à toute une série de divas et de dictateurs, alors avec moi, ça a été assez facile», rigolait Baxter Dury dans un article de Harper’s Bazaar France.

Avec son titre inventé, qui joue sur le nom d’une fameuse chaîne de bars à cocktails britannique (All Bar One) caractérisée par son décor m’as-tu-vu et ses boissons que l’on ne sirote jamais avant d’en avoir posté la photo sur Instagram, le disque s’impose comme le plus «mainstream» de son auteur.

Pour autant, Baxter Dury n’abandonne en rien son style unique, marqué par des paroles sarcastiques délivrées dans un parlé-chanté au flegme immuable. Les voix féminines remplissent elles aussi tout le disque, à commencer par la chanteuse de R’n’B JGrrey, capable d’insuffler la fureur electro-punk du refrain de la chanson-titre comme de s’amalgamer au velours disco d’Alpha Dog. Il y a encore Fabienne Débarre, avec qui Dury renoue onze ans après l’album It’s a Pleasure (2014), qui vient envelopper de sa mélancolie sauvage le refrain de Schadenfreude.

Et puis, surtout, il y a lui, l’esthète cabossé, le Narcisse qui se moque du narcissisme, le crooner cockney à nul autre pareil. Le fils de Ian Dury, qui avait définitivement réglé ses comptes avec le lourd héritage paternel sur son précédent album, s’autoproclame ici «le Kubla Khan de Chiswick, fils du prodige» – ce qui reviendrait à dire d’une part que l’auteur de Sex & Drugs & Rock’n’Roll, disparu en 2000, serait le Genghis Khan du punk, et de l’autre, que c’est Baxter, qui a commencé la musique à la mort du père, qui règne désormais sans partage sur son quartier huppé de Londres.

Entre Kubla Khan et Mr W4 (le code postal de Chiswick), il y a tout un espace sonore qui mue progressivement, comme si on entrait dans sa boîte de nuit imaginaire au plus fort de la fête pour en sortir, le corps éteint, au petit matin. De la même manière, les codes identifiables (Allbarone sonne comme du Fake Blood, Kubla Khan a des airs de Sleaford Mods, Schadenfreude évoque la post-techno berlinoise de Kompromat) se dissipent, le tempo ralentit, les échos se font plus profonds et la voix plus feutrée par les effets.

On en est certain : une nuit en boîte avec Baxter Dury, c’est une expérience transformative pour aboutir à une autre version de lui-même.